Vous êtes le nouveau président de la frcuma Grand Est. Quelles sont les missions de cette structure ?
Matthieu Goehry : Dans la région Grand Est, le paysage de l’accompagnement des cuma est dispersé. En Alsace, l’animation des cuma est confiée à Coop de France, tandis qu’en Champagne-Ardenne, le réseau est déjà structuré entre des fédérations départementales et un échelon régional. Nous souhaitons pérenniser l’animation de proximité qui est aujourd’hui assurée par des structures fragiles. Même dans les départements les plus développés, l’accompagnement des cuma repose souvent sur une seule personne, avec ses hauts et ses bas.
La régionalisation découle aussi d’un constat des élus : le renouvellement des responsables se révèle difficile. La fédération Grand Est espère réaliser des économies d’échelle, avec 21 élus au sein du conseil d’administration. Un élu représente 50 cuma en moyenne, avec un minimum de deux élus par département. Notre objectif est de supprimer les fédérations départementales. A terme, l’ensemble des cuma cotiseront à la frcuma, qui centralisera le pouvoir politique et décisionnel. Les salariés, eux, seront employés par la frcuma ou mis à disposition.
Le réseau ne risque-t-il pas de s’éloigner de sa base ?
MG : Sans la base, la tête n’est rien ! Nous n’arriverons pas à faire augmenter le nombre d’agriculteurs en cuma sans une animation de proximité. Des cellules locales vont donc continuer à exister, pour organiser des démos, des mécaévènements… Elles feront le lien direct entre frcuma et cuma.
Qu’est-ce que les cuma ont à gagner de cette régionalisation ?
MG : Il s’agit de mettre en commun des moyens, pour que chaque cuma puisse bénéficier du même service. Actuellement, les compétences sont réparties de manière hétérogène sur le territoire. Cela implique une cotisation qui sera la même pour toutes les cuma. Aujourd’hui, l’écart va de 1 à 5… A ce propos, la notion de cotisation doit être perçue comme un investissement et non une dépense.
Quelle est votre ambition ?
MG : La frcuma souhaite devenir incontournable dans le paysage agricole de la grande région, tout en travaillant en partenariat avec les autres organisations agricoles. Nous sommes un outil économique et non fiscal pour maîtriser les charges de mécanisation. Beaucoup d’exploitations n’adhèrent pas à une cuma à l’Est, la marge de progression est importante !
Comment expliquez-vous ce moindre développement des cuma ?
MG : Cela tient surtout à des choix politiques, avec une sensibilité des responsables moins forte à l’Est. Les agriculteurs, eux, ne sont pas différents des autres. Il existe de nombreuses coopératives de production, donc ils sont coopérateurs ! Les cuma se sont moins développées sans doute à cause d’un déficit d’accompagnement et de références.
Comment renverser la tendance ?
MG : Il faut faire des cuma existantes des modèles. Nous devons convaincre de leur pertinence avec des études chiffrées, démontrer que l’achat en commun est plus rentable. Des exploitations en cuma sont plus facilement transmissibles. Nous devons aussi mettre en avant l’aspect humain des cuma. Les groupes sont un vecteur d’échanges et de progression.
C’est ce que vous avez essayé de faire à l’échelle de votre cuma ?
MG : Mon père était en cuma mais celle-ci s’était arrêtée avec la crise du houblon. Dans le groupe, l’aspect humain n’avait pas été suffisamment suivi. Mon père a une mauvaise expérience du collectif : relations humaines difficiles, problèmes d’entretien du matériel… Il ne m’a donc pas encouragé dans ce sens. Pour moi, c’était difficile de sortir de l’école et de me retrouver seul sur l’exploitation. Je suis reparti en cuma avec des amis du lycée agricole, avec qui je partageais les mêmes idées. Nous avons acheté une mélangeuse distributrice et un épandeur à fumier à la cuma de la Rosée, entre 9 adhérents. En 2010, il fallait que nous investissions dans la traction en commun pour continuer à nous développer et gommer la différence de taille de nos exploitations. Par la même occasion, tout un projet s’est concrétisé autour de la fenaison. Nous nous entraidons aussi sur les chantiers.
La crise agricole sera-t-elle votre alliée ?
MG : Elle devrait engendrer de la réflexion dans les exploitations agricoles pour définir des marges de manœuvre possibles. De plus en plus d’agriculteurs se posent la question de la maîtrise des charges. En même temps, c’est un moment difficile pour se remettre en cause, car les marges de manœuvre de chacun sont réduites. Il faut arriver à convaincre les agriculteurs qu’en mettant 1€ dans la cuma, il récolte plus derrière ! L’accompagnement des cuma est primordial. C’est le seul moyen de créer des groupes stables et performants.