Ce week-end, de Paris à Saint-Nazaire en passant par Montpellier, Colmar, Lille ou La Rochelle, des pique-niques et marches « vegan » et « antispécistes » sont prévus. Ces militants s’opposent à la consommation de viande. Mais aussi à la tauromachie ou à l’expérimentation animale. Prônant l’égalité de tous les êtres vivants, les vegans ne portent pas non plus de vêtements en cuir. La diffusion de vidéos choquantes par l’association L214 a débouché sur une inspection des 259 abattoirs du pays et la fermeture de trois d’entre eux en avril.
Jeudi, l’association Life 269 a organisé des veillées devant 33 abattoirs en France, Belgique et Suisse, pour « attirer l’attention du public sur un holocauste silencieux ». Life269 est sorti de l’ombre avec fracas en 2012 à Tel Aviv. Trois militants à demi-nus avaient organisé à même leur peau une séance publique de tatouage au chalumeau du numéro 269, celui d’un veau qu’ils avaient sauvé de l’abattoir dans une ferme.
L’opprobre sur la viande
Ces mouvements, portés par les crises alimentaires autour de la vache folle ou des grippes aviaires, surfent sur une vague écolo et radicale. Le patron du principal syndicat agricole FNSEA, Xavier Beulin, ne s’y est pas trompé: « Le but recherché » par ces organisations « est de jeter l’opprobre sur la viande ». « Avec ces vidéos, c’est la question de la consommation de la viande qui est posée. Le lien établi en 2015 par l’OMS entre certains cancers et la surconsommation de viandes rouges a renforcé la mouvance. « Combien de crises alimentaires devrons-nous affronter avant que les gens réalisent que les protéines animales ne sont pas bonnes pour nous ? », déclarait l’an dernier Jasminj de Boo, président de la Vegan society, crée en 1944 en Grande-Bretagne.
Le « veganisme » est mieux accepté dans les pays anglo-saxons, alors qu’il reste militant en France. Aux Etats-Unis, où la Californie a banni le foie gras, Chicago, l’ex-capitale des abattoirs, longtemps surnommée Hogtown (La cité du cochon), est devenue l’une des villes les plus végétariennes du pays, selon l’association pour le traitement éthique des animaux (PETA). Le penseur historique des anti-viande, philosophe du droit des animaux, est l’Australien Peter Singer, titulaire de la chaire d’éthique à Princeton (Etats-Unis). Son best-seller, « la libération animale », publié en 1975, est le livre fondateur des mouvements modernes de défense des droits des animaux. Il plaide contre le « spécisme » en affirmant que « tous les animaux sont égaux » à partir du moment où ils sont capables de souffrir ou d’être sensibles.
La résistance s’organise
En France, le mot « vegan » a fait son entrée au Larousse seulement en 2015. Et il reste difficile pour un végétarien pur et dur de se nourrir au restaurant, malgré les évolutions qui ont suivi le spectaculaire abandon de la viande rouge décidé par le chef étoilé Alain Passard dans les années 90. L’une des références françaises en matière de droit animalier, Florence Burgat, philosophe à l’Institut national de la Recherche Agronomique (INRA), a été auditionnée par la commission d’enquête parlementaire installée après la diffusion des vidéos de L214. Autres référents français: le philosophe Michel Onfray, défenseur radical de la cause animale, ou le journaliste Aymeric Caron auteur d’un essai intitulé « antispéciste ».
Côté carné, la résistance s’organise. Les bouchers lancent des opérations séduction: « 24 heures chez mon boucher » ou « apéro chez mon boucher ». « Avec en moyenne 37,5 g par jour de viande cuite, 72% des Français consomment bien moins que la limite des 70 g de viande par jour recommandés par le Programme national nutrition santé » (PNNS), souligne Bruno Hérault, du ministère de l’Agriculture dans la revue « l’Actu culture viande ». « Depuis 1998, la consommation de viande est en baisse, entraînant une diminution des cheptels ovins (-32% entre 1991 et 2013) et bovins (-12%) », ajoute-t-il.
Chez les éleveurs, on sort les couteaux. A droite, la Coordination Rurale « se mobilise » avec les commerçants en bestiaux. « Nous ne laisserons pas quelques excités décrédibiliser notre noble métier », dit Joseph Martin, président de la Coordination rurale d’Ille-et-Vilaine, en dénonçant « des mises en scène trompeuses et des manipulations de chiffres ». A gauche, la Confédération paysanne fustige une campagne qui « s’acharne sur l’élevage et met en danger l’emploi paysan, notre modèle alimentaire et la vie de nos territoires ». Dans le mensuel du syndicat, Vincent Delmas, agriculteur dans la Drôme, rappelle une vérité paysanne: « sans la mort, la vie n’est pas possible ». « Dans notre société, beaucoup de personnes n’acceptent plus la mort. Végétaliens, végans et autres trans-humanistes en sont l’illustration », selon lui. « On ne peut moissonner du blé sans aplatir des centaines de sauterelles. L124 devrait filmer l’intérieur d’une moissonneuse, beaucoup s’arrêteraient de manger du pain! »