Catherine Chevalier plonge ses ongles vernis dans le fumier, en ressort une poignée de silhouettes roses grouillantes, mécontentes d’être exposées à la lumière.
« Je ne peux pas toucher n’importe quel ver, mais ceux-là j’ai grandi avec », sourit la jeune femme de 32 ans.
Un an avant sa naissance, ses parents et sa tante ont démarré un élevage de vers dans l’espoir de dégager de nouveaux revenus pour sauver la petite exploitation familiale de Cléry-en-Vexin (Val-d’Oise), au nord-ouest de Paris.
Catherine Chevalier a pris leur suite en 2016 toujours aidée par sa tante. Conquise par les quelque 500 millions de vers, de types eisenia foetidia et eisenia andreï, qui travaillent pour elle. « Par tous temps et ils ne font jamais grève ! »
Dans ses rangs, les vers transforment chaque année 300 tonnes de fumier en 150 tonnes de lombricompost, un engrais inodore qui nourrit les sols et revigore les plantes.
Un paysagiste du département voisin de l’Eure vient chercher 100 kg de ce fertilisant aux airs de café moulu, doté du label « utilisable en agriculture biologique ».
« Depuis que j’utilise ça, j’ai beaucoup moins de pertes » dans les plantations, salue Nicolas Innemer.
La matière première du lombricompost est produite sur place. En ce mois de février, une poignée de veaux vaquent dans l’étable entre 15 charolaises et limousines nourries de paille d’orge, de foin et de pulpe de betterave.
« C’est ici que tout commence », plaisante l’éleveuse, qui récupère aussi du fumier de cheval pour alimenter ses vers.
La France compte une vingtaine de fermes lombricoles, selon les organisateurs des rencontres internationales de l’agriculture du vivant.
La plupart des producteurs qui s’étaient lancés en même temps que les parents de Catherine Chevalier ont abandonné, faute de débouchés.
« Dans les années 1980, remarque-t-elle, (le géant de l’agrochimie) Monsanto et d’autres étaient en plein essor. Les gens ne croyaient pas qu’on pouvait avoir les mêmes résultats avec le naturel que le chimique ».
Son engrais séduit aujourd’hui mairies, particuliers – « de plus en plus de jeunes » – et jusqu’au potager du château de Versailles.
Mise aux vers
Ferme lombricole la plus près de Paris, elle voit aussi débarquer une clientèle nouvelle: sans jardin, mais dotée d’un lombricomposteur d’appartement qui coûte entre 60 et 80 euros, un système de bacs empilés pour recycler les déchets organiques.
Une centaine de personnes par an la sollicitent en quête de vers pour lancer leur lombricomposteur, voire le relancer, si leurs colocataires invertébrés ont trépassé.
Annexe pour elle, la fourniture de vers peut être florissante pour certains.
Entre son élevage et la vente de son lombricomposteur fabriqué en France, le chiffre d’affaires de la société Vers la terre, basée à Pézenas (Hérault), ne cesse de croître. Le gérant, Jean-Paul Nourrit, vendait « 20 lombricomposteurs en 2007 », vient d’en écouler 16.000 en trois ans et prévoit 12.000 ventes en 2019.
A l’origine d’un « modèle économique qu’il a fallu inventer et imposer », il ironise sur ces banques « qui nous suivent maintenant qu’on n’a plus besoin d’eux ».
La société fournit notamment la capitale, qui aura offert d’ici à la fin de l’année 4.000 lombricomposteurs – et les vers qui vont avec – aux Parisiens volontaires.
Seuls « cinq ou six » cas de mortalité ont été rapportés à la municipalité, « principalement parce que l’appareil a été sorti sur le balcon par temps de gel ou de canicule ».
D’autres collectivités proposent des lombricomposteurs gratuitement ou en échange d’une participation (20 euros à Angers, 45 à Annecy). Et les listes d’attente s’allongent.