Créé au XIXe siècle autour du vin et des céréales pour effectuer des achats en commun, le modèle des coopératives, présidées par des agriculteurs, s’est étendu après la deuxième guerre mondiale à l’ensemble des productions. Mais depuis 40 ans, à coup de rapprochements et de fusions, une vingtaine de groupes coopératifs dépassent le milliard d’euros de chiffre d’affaires et ont des activités à l’international, ce qui effraie certains coopérateurs historiques.
« Il y a un problème de dimensionnement des coop. Plus elles sont grosses, plus elles multiplient les structures pour gérer les activités, plus c’est compliqué à comprendre et moins il y a de transparence », résume Dominique Lebreton. Pour cet éleveur de Loire-Atlantique, membre de la Confédération paysanne, qui a quitté une grosse coopérative en 2010 pour passer au bio, « l’essence même de l’économie sociale et solidaire finit par disparaître ».
« Il y a eu un effet de concentration car le marché unique européen se dérégule et les coopératives françaises se sont retrouvées face à des compétiteurs qui sont de la taille d’un pays, écrasent les coûts de production et pénètrent notre marché », explique le directeur général de Coop de France, Pascal Viné. Pour résister, les coopératives se sont lancées dans la transformation des produits agricoles, pénétrant largement le secteur agroalimentaire « où se crée la valeur ajoutée ». En France aujourd’hui, une marque alimentaire sur trois est produite par une coopérative.
Depuis 1991, elles peuvent même disposer de filiales de droit privé, via la création de holding, ce qui leur donne accès au financement bancaire et aux marchés. Limagrain a coté en bourse sa filiale Vilmorin, quatrième semencier mondial. Tereos a fait de même avec Tereos Internacional (transformation de céréales et de canne à sucre).
Un homme, une voix
« Dire qu’une bonne coopérative est une coop qui ne gagne pas d’argent, c’est une image à laquelle il faut tordre le coup », s’indigne M. Viné. « En créant des filiales, nos entreprises se sont mises dans des situations équivalentes aux entreprises privées pour être compétitives. » Mais le sacro-saint principe coopératif « un homme, une voix » est maintenu, assure-t-il.
Cohabitent désormais, « dans un même groupe », une « logique « coopérative et une « logique capitaliste », résume Maryline Thenot, enseignante-chercheuse à Neoma Business School. « La complexité de ces entités tient à leur taille, elle émane également de leur structure juridique qui autorise désormais la présence simultanée des acteurs coopératifs et des investisseurs privés », un vrai exercice d’équilibriste, explique-t-elle.
Les partenaires privés, apporteurs de capital, peuvent peser lourd dans les décisions. C’est sous l’impulsion de l’actionnaire américain de sa marque Yoplait, General Mills, que la coopérative laitière Sodiaal a créé, au Luxembourg plutôt qu’en France, la filiale où le géant américain verse ses bénéfices à l’international.
Pour M. Viné, les coopératives subissent « une injonction contradictoire »: faire du profit sur les productions agricoles pour affronter la concurrence internationale, tout en prenant soin des coopérateurs, via le prix versé pour leurs productions. Les grandes coopératives comme Sodiaal ont ainsi été très critiquées pendant la crise laitière pour avoir baissé leurs prix d’achat du lait dans le sillage des cours mondiaux.
« Des paysans ont tout d’un coup des responsabilités et se mettent dans la peau de PDG », relève M. Lebreton, et « les administrateurs ne maîtrisent pas le personnel administratif » qui enfle au fur et à mesure de la croissance. Dans les grosses coopératives, « le directeur général et tous les cadres supérieurs proviennent pour la plupart du monde capitalistique, ils sont souvent passés par les grands de l’agroalimentaire », explique Mme Thénot.
Malgré les critiques, en cas de coup dur, les coop continuent toutefois d’assurer un soutien financier aux agriculteurs en difficulté, ce qui les place parfois en situation de quasi-banquier. Maïsadour a, par exemple, aidé ses adhérents producteurs de foie gras pendant la crise de la grippe aviaire en bloquant certaines factures et en octroyant des avances de trésorerie.
La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle (Marne) n’aurait jamais vu le jour, selon Mme Thénot, si Cristal Union et Vivescia « n’avaient pas été là avec leurs valeurs, cette optique de vision à long terme. Elles voulaient travailler pour l’avenir de leurs enfants et petits-enfants coopérateurs ».