Qu’est-ce-que produire des champignons sur du marc de café dans un parking souterrain doit aux techniques des maraîchers de la Belle époque? Ces derniers ont cultivé des champignons (de Paris) dans des carrières grâce aux excréments des chevaux utilisés pour tracter les convois jusque dans le « ventre de Paris », le marché de gros des Halles.
Leurs lointains successeurs appliquent à leur tour un principe de récupération des déchets et d’économie circulaire: loin d’être un concept « bobo », une technique issue des sagesses paysannes d’antan.
Après « l’explosion d’inventivité » des maraîchers et horticulteurs franciliens entre 1890 et 1930, quand 60 à 80% des produits frais consommés à Paris étaient produits localement, l’exposition dresse le tableau d’une agriculture urbaine nourricière possible un siècle plus tard.
Or, aujourd’hui, l’Ile-de-France ne compte plus que 5.026 agriculteurs chefs d’exploitation, avec au total 11.338 personnes inscrites à la Chambre d’agriculture, en comptant les aidants familiaux, souvent des conjoints d’agriculteurs ou agricultrices, et des employés agricoles, selon le recensement de 2010.
Contre la « nature-décor »
L’agriculture urbaine, elle, occupe quelque 1.400 « équivalent temps pleins » en Ile-de-France, selon l’Afaup (Association française d’agriculture urbaine professionnelle). « Or, seulement 1,5% des fruits consommés par les Franciliens proviennent de la région, et moins de 10% des légumes », explique Augustin Rosenstiehl, architecte et commissaire de l’exposition, qui dirige un laboratoire de recherche sur l’agriculture depuis 10 ans.
« Nous sommes convaincus que l’agriculture urbaine peut participer à la nourriture de l’Ile-de-France, à condition qu’il y ait un soutien public pour soutenir sa créativité et accompagner l’excellence, comme cela fut le cas au début du siècle, via les dépôts de brevet, ouvertures d’écoles (Grignon, Versailles, Rambouillet…) et les lancements de formations d’une élite horticole », assure-t-il.
L’architecte critique particulièrement la « nature-décor » inventée par l’urbanisme des années 50-60, une « illusion » selon lui. « L’exposition montre qu’en Ile-de-France, la ville moderne a créé deux fois plus de nature qu’il n’y en avait en 1900, avec ses jardins individuels, pavillons, parcs de loisirs et pelouses autour des grands ensembles », mais cette nature ne crée aucune biodiversité, dit M. Rosenstiehl.
Ainsi en 1900, 17% des emprises au sol en Ile-de-France étaient constituées de « nature » (bois, forêts, marécages, etc.), selon la carte militaire de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU). En 2012, ce chiffre monte à « 33% des emprises », démontre le commissaire de l’exposition.
Freins à la mixité
« Le drame, c’est qu’au passage, on a supprimé l’agriculture urbaine qui a prouvé sa capacité à nourrir et à nicher la biodiversité », constate-t-il en citant « les fosses à cresson de Stains ou les murs à pêches de Bagnolet ».
« Il ne s’agit pas de refaire la même chose, mais de régulariser ce qui est en train de se passer », plaide-t-il en évoquant une expérience d’élevage urbain en Seine-Saint-Denis « freinée » par les lois d’urbanisme françaises délimitant férocement les terrains en A (agricoles), U (urbains) ou N (nature) et empêchant la mixité.
« Les bergers urbains gagnent leur vie à entretenir des pelouses avec leurs moutons, mais ne peuvent ni vivre de la viande, ni de la laine, en raison des régulations existantes », explique-t-il.
« A l’inverse, il est aussi urgent de pouvoir construire sur certaines zones agricoles, notamment pour loger les nouveaux arrivants urbains intéressés par des expériences d’agriculture collective en cours », ajoute-t-il.
Contre-exemple d’aménagement urbanistique à vocation agricole, selon M. Rosenstiehl, le projet Europacity sur le triangle de Gonesse, entre Paris et Roissy, illustre « tout ce qu’il ne faut pas faire » pour rendre une ville agricole. « Ce projet prévoit un aménagement très horizontal et très consommateur de terres or il faut des centaines d’années pour reconstituer des sols agricoles », souligne-t-il, en appelant à repenser une véritable « programmation urbaine » de l’aménagement agricole.