Il y a une responsabilité européenne écrasante dans cet accroissement de l’offre » sur le marché mondial, a expliqué Christophe Perrot, économiste à l’Institut de l’élevage, lors d’un colloque organisé par la Confédération Paysanne près de Rennes. « Depuis 2013, l’UE a mis sur le marché mondial 10 millions de tonnes supplémentaires sur un marché de 66 Mt », souligne M. Perrot. Résultat: un séisme d’un bout à l’autre de la planète laitière. De la France, où les producteurs vendent, sauf exception, leur lait à perte, à la Nouvelle-Zélande, premier exportateur mondial: selon la Banque centrale de ce pays, 80% des éleveurs travaillent actuellement à perte.
Pour tenter de sortir de cette spirale dévastatrice, la France vient de signer avec la Pologne et l’Allemagne un accord pour demander à la Commission européenne de mettre en oeuvre des instruments de stabilisation des marchés, à commencer par la surproduction laitière. La suppression des quotas laitiers en mars 2015 est pour une bonne part dans cette fuite en avant. Mis en place en 1984, ces quotas visaient à maîtriser la production et stabiliser le marché. Logiquement, la dérégulation a eu l’effet inverse: sur la campagne 2015-2016, la première sans quotas, l’UE a augmenté encore sa production de 4,3%, allant de +1,3% pour la France à +18,5% pour l’Irlande, selon M. Perrot. « Cette forte hausse s’est conjuguée avec un tassement de la demande mondiale », en particulier de la Chine, qui avait manifesté « une frénésie d’importations et de stockage fin 2013 » avant de se rétracter. Petit producteur (environ 5% de la production européenne), l’Irlande vise un accroissement « de 50% d’ici 2020 », constate l’économiste. De même, le Danemark table sur +20%.
Concurrence exacerbée entre pays européens
Comme les Pays-Bas, quatrième pays producteur dans l’UE après l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark « exportent plus des deux tiers de leur production et ne veulent laisser aucune opportunité à leurs concurrents internationaux », souligne M. Perrot. Les principaux pays producteurs, comme la France, sont, eux, dans une autre stratégie: « Les transformateurs y ajustent leur collecte à leurs besoins et leurs débouchés commerciaux, notamment pour le marché intérieur plus rémunérateur ». Au final, on arrive à une « concurrence exacerbée entre pays européens pour tenter de trouver des débouchés hors-UE », constate Aurélie Trouvé, économiste à AgroParis Tech. Et ce, bien que « 85% de la production européenne soit consommée sur le territoire européen », rappelle Thierry Roquefeuil, président de la FNPL, branche laitière de la FNSEA.
Pour le moment, chaque pays essaie de parer au plus pressé face à des producteurs en détresse et « des prix internationaux très bas, autour de 200 euros la tonne », observe Christophe Perrot. Comparé à la moyenne 2007-2014, « les prix actuels sont inférieurs de -20% (France, Allemagne, Etats-Unis) à -33% (Irlande, Nouvelle-Zélande) », constate l’économiste. Pour la France, en mars 2016, le prix moyen versé aux producteurs français s’est établi à 309 euros la tonne, inférieur de 4,5% à mars 2015, selon Agreste, le bulletin statistique du ministère de l’Agriculture.
Rééquilibrage en 2016?
En attendant d’éventuelles décisions lors du conseil des ministres les 27 et 28 juin à Luxembourg, des raisons d’espérer existent. Contrairement à la viande, « la consommation de lait augmente davantage que la population mondiale », constate Christophe Perrot. Et une stabilisation de la production, bien « qu’à haut niveau », semble se profiler dans l’UE comme en Nouvelle-Zélande. Si certains analystes voient les prix réaugmenter et le marché se rééquilibrer au cours de 2016, Aurélie Trouvé tempère les optimismes. « On considère que l’UE est dans une crise structurelle de surproduction, alors que les instances européennes voient ça comme une crise conjoncturelle sur deux/trois ans. »