Pratiquée par 800 millions de personnes dans le monde, la « production alimentaire urbaine » doit être encouragée par les politiques publiques, estime l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Dans les pays occidentaux, les modèles de production d’alimentation en ville varient, plus ou moins financiarisés.
Yves Christol, un des responsables de la plus grande coopérative agricole française In Vivo, discerne au moins six modèles différents, après un tour du monde uniquement destiné à étudier la question.
Des haricots verts en Islande
- Dans les pays européens du nord, le modèle dominant recrée en intérieur des climats entièrement contrôlés électroniquement, sans pesticide, mais sans sol direct et sans soleil non plus. « Ce qui permet à l’Islande d’être devenu un gros producteur de haricots verts », dit M. Christol, « grâce au chauffage par l’eau du sous-sol. »
- A Singapour, l’agriculture urbaine, très high tech aussi, est « politique », destinée à assurer l’autonomie alimentaire de la ville-Etat, quel qu’en soit le prix.
- Au Japon, elle s’est développée sur le reconditionnement d’anciennes usines électroniques en usines à légumes, mais ce modèle est aussi très cher.
- La Chine, pour sa part, a lancé des fermes urbaines sur d’anciens sols pollués par des métaux lourds, qu’il serait trop cher de dépolluer.
- Quant au modèle américain, il est en pleine transition, entre les fermes verticales d’aquaponie (système mêlant culture de plantes et élevage de poissons) à New York ou Chicago, qui peinent à être rentables, et la Californie surchauffée, « qui risque d’être un désert d’ici 15 ou 20 ans ».
L’agriculture urbaine ne parviendra pas à nourrir les villes et ne sera pas rentable « tant que le prix des légumes n’aura pas été multiplié par quatre », pour couvrir les coûts en énergie, assène M. Christol.
…ou des fraises en container à Paris
Pour Guillaume Fourdinier, l’un des deux fondateurs de la startup Agricool à Paris et Dubaï, qui produit des fraises toute l’année dans des containers de marine marchande connectés et équipés de LED, l’agriculture urbaine doit d’abord servir à lutter contre « le désastre écologique du transport ».
« Aujourd’hui, avec nos containers nous sommes 120 fois plus productifs au mètre carré qu’en pleine terre », dit-il, « et nous produisons de façon décentralisée au plus près des consommateurs. » Mais, il ne donne pas le prix de revient de ses fraises, vendues légèrement moins chères que des fraises bio.
- Le sixième modèle, développé par la ville de Paris, autour du projet « Pariculteur », un modèle volontariste et social, fait bouger les lignes, avec plus de 10 hectares cultivés à Paris, qui devraient passer à 30 hectares en 2020.
Pour Swen Deral, organisateur des « 48 heures de l’agriculture urbaine » dans plusieurs villes européennes, les urbaculteurs « qui s’en sortent financièrement » sont ceux « qui font autre chose que produire. Soit ils recyclent, soit ils créent des services autour de l’agriculture urbaine, des activités pédagogiques, des restaurants, ou autres », dit-il. Au vu du prix du foncier en ville, « les projets les plus à risque sont ceux qui sont uniquement productifs », ajoute-t-il.
En attendant, les chercheurs font valoir que les initiatives d’agriculture urbaine, outre qu’elles revitalisent et créent du « commun », sont aussi un moyen de lutter contre les effets du réchauffement climatique, en faisant baisser les températures d’un environnement trop minéral ou en luttant contre les risques d’inondation, et en réinventant l’urbanisme.
Dans un article paru dans la revue MDPI, « Jardiner la ville: gérer la durabilité et s’adapter au changement climatique grâce à l’agriculture urbaine », François Mancebo, chercheur à l’université de Reims, estime qu’elle doit être inscrite dans les politiques d’urbanisme, à condition de miser dès le départ sur une élaboration plus participative de ces politiques, impliquant les habitants.