Cinq cent cinquante exploitants professionnels contre 12 000 dans les années 1980… C’est ce que comptent les Alpes-Maritimes, un département qui produit 1 % de sa consommation alimentaire. Dans la commune de Saint-Jeannet, on a vu passer leur effectif de 250 à 7 ou 8. En cause, l’urbanisation anarchique qui a mangé les terres en étouffant les exploitations. Dans les années 1960, un quart de la superficie de la commune était consacrée à la vigne. Aujourd’hui, l’exploitation de Denis Rasse, l’un des « rescapés », occupe deux hectares de terrain en pente et produit le vin de Saint-Jeannet. Les terres, héritées de son père, permettent l’activité de quatre exploitations : deux en viticulture, une en maraîchage, une en oléiculture. Le tout sur moins de dix hectares.
la cuma, indispensable
Travailler sur des parcelles petites et pentues nécessite des outils adaptés et de petite taille. Fabriqués en petit nombre, ceux-ci sont plus coûteux que les machines de taille standard et leur coût ne saurait être supporté par une seule exploitation. En l’absence d’ETA, la cuma est l’unique moyen d’avoir accès à ce matériel spécialisé.
C’est en réponse à cette situation qu’est née, en 2002, la cuma des Sausses, dont Denis Rasse est le président. Avec l’aide appréciée de la Chambre d’agriculture et grâce à une subvention, elle s’est constituée en premier lieu autour d’un tracteur articulé, puis d’un pulvérisateur, d’une broyeuse et d’une rotobèche. Le tracteur, introuvable en France, a été acheté en Italie.
Sur le principe, tout ce qui peut être partagé est en cuma et chacun a acheté son matériel spécialisé compatible. Au final, cet achat a permis une mécanisation impossible auparavant.
Un chenillard aux fonctions multiples
La cuma de la Ginoire vit une situation ressemblante, à la Tour-sur-Tinée, à 40 km au nord de Saint-Jeannet. Sur ce territoire, qui s’échelonne entre 300 m et 1 900 m d’altitude, les exploitants travaillent dans des conditions difficiles : beaucoup de pente, des parcelles très petites. Ici aussi ils ont besoin d’un matériel spécifique, plus cher que les machines classiques. Et les exploitations, de très petite taille (un hectare à un hectare et demi), ne peuvent pas en supporter à elles seules le coût.
Les activités sont diversifiées : maraîchage, élevage avec transformation et vente directe, un producteur d’huiles essentielles, un producteur de semences… Enfin, même si la cuma se trouve sur une zone restreinte (deux communes), les routes sinueuses de montagne allongent les temps de déplacements d’un site à un autre.
C’est dans ces conditions particulières qu’un groupe de cinq agriculteurs s’est créé en 2010 pour acheter un chenillard (un investissement de 29 000 € subventionné à 50 % par la région et le département). Une sous-soleuse, un gyrobroyeur, un rotovator et un broyeur de branches ont suivi. Puis deux peignes à olives, qui par ailleurs intéressent des particuliers, propriétaires récoltants d’oliviers. Enfin, elle a acquis du petit matériel qui concerne ces derniers (deux débroussailleuses, deux tronçonneuses, une motobineuse).
Aujourd’hui, la cuma compte une vingtaine d’adhérents, dont six agriculteurs professionnels, des particuliers et la commune de la Tour elle-même. Outre le fait qu’elle soit un adhérent comme les autres, cette dernière apporte aussi une aide à la cuma à hauteur de 5 000 € par an, contre des petits travaux (curage de canal, nettoyage, débroussaillage…). Cela permet de sécuriser le remboursement de l’emprunt.
Pour ces deux petites cuma, même si le partage de matériel est fondateur, l’intérêt va bien au-delà parce qu’il permet de tisser un lien fort entre ses adhérents.
La Cuma pour souder le groupe
« La cuma est un espace de rencontre », rapporte Christophe Cotterau, président de la Ginoire. « On se soutient, on crée du lien », ajoute Denis Rasse. En outre, dans ce département qui subit une forte pression foncière et dans lequel les baux agricoles sont difficiles à signer, se grouper permet d’avoir plus de poids. « Les communes commencent à réagir, il y a une volonté politique qui doit être accompagnée » explique Christophe Cottereau. De fait, la commune de la Tour-sur-Tinée soutient la cuma, en mettant gracieusement à sa disposition un local de stockage pour le matériel par exemple. En outre, le fait qu’il y ait des particuliers parmi les adhérents favorise une sensibilisation de ces derniers, en donnant l’occasion d’une rencontre entre les uns et les autres.
De son côté, Denis Rasse, en tant qu’adjoint au maire de Saint-Jeannet, travaille sur le potentiel agricole de sa commune et sur la redynamisation des petites zones par la définition de ZAD (zones agricoles protégées) en collaboration avec les propriétaires, par l’achat de terres, sur ce territoire où les prix sont extrêmement élevés.
Dans ce cadre, le rôle de la cuma est de « montrer son dynamisme, d’aider les jeunes à s’installer (ils peuvent le faire avec presque rien), de créer des contacts et du lien social », explique Denis Rasse. Dans ce contexte « étouffant pour l’agriculture », la cuma permet, en bref, de « faire bloc » et de perdurer. Un bilan également dressé par Christophe Cottereau, qui conclut : « la cuma est une aventure humaine. »