« J’aime le métier mais quand je vois le nombre d’heures pour le salaire et puis toute la paperasse, je ne suis pas très chaud pour m’installer », résume ainsi Guillaume, 23 ans, vacher dans une ferme du Morbihan.
Salarié depuis sept ans, il fait partie des 41% d’actifs agricoles en 2016 contre 32% en 2006, selon les données de l’Insee. En Bretagne, l’emploi salarié a même dépassé le nombre de chefs d’exploitations. Cette évolution s’inscrit dans la mutation du secteur agricole depuis une vingtaine d’années avec la diminution de la main d’oeuvre familiale, l’agrandissement des exploitations et la diversification des activités qui ont cassé les codes traditionnels de la ferme classique.
« Des jeunes qui devaient s’installer décalent ou vont plutôt vers du salariat agricole parce qu’il y a de plus en plus de besoin de main d’oeuvre. Avant c’était les papas-mamans qui étaient toujours là pour aider », explique Denis Leroyer, 32 ans, dirigeant d’une exploitation laitière en Mayenne.
« Sans compter le crédit à payer et le boulot tous les week-ends. Il faut nourrir et traire les bêtes même le dimanche! Les jeunes ne veulent plus vivre dans ces conditions », se désole M. Leroyer.
Martin, 17 ans, en terminale dans un lycée agricole en Ille-et-Vilaine, a « travaillé tout l’été ». « Des fois je commençais à 05H00 du matin pour finir à minuit. Par respect pour mon patron, je restais mais c’est beaucoup et quand je vois ce qu’il gagne et ses factures, je me demande si j’ai envie de reprendre une ferme », témoigne-t-il.
En 2015, le salaire médian d’un chef d’exploitation s’élevait à 1.210 euros contre 1.100 euros pour un ouvrier agricole, selon l’Insee.
« Pas d’astreinte »
Chauffeur-tractoriste, Laurent occupe un CDD de remplacement depuis deux ans, il se « satisfait » de sa situation. « Je n’ai pas envie de m’installer. Pour quoi faire? Je n’ai pas d’astreinte. Quand le travail est fini, je rentre sans rien à me soucier ». Le jeune Breton de 22 ans est loin d’envier les tracas du quotidien de ses successifs patrons: « Quand il y en a un qui ne me plaît pas, je change, ce n’est pas ce qui manque du travail », affirme-t-il.
En Bretagne, près de 4.000 emplois agricoles n’ont pas été pourvus en 2015 tandis que Apetica, spécialiste de l’emploi dans l’agriculture, a recensé plus de 15.000 offres en 2016 en France. Le phénomène de salarisation des agriculteurs s’explique par les « coûts d’installation qui ont considérablement augmenté sur les dix dernières années », constate Xavier Divet, secrétaire général des Jeunes agriculteurs 35 (JA).
L’investissement pour se lancer dans la production laitière est aujourd’hui de 340.000 euros (200.000 euros en 2003) et il s’élève à près de 600.000 euros en production porcine (400.000 euros en 2004), d’après l’Association nationale emploi formation en agriculture (Anefa).
Le nombre d’installations en baisse en 2017 ?
Si la part du salariat dans l’emploi agricole a gagné du terrain, le nombre d’installations « s’est stabilisé », nuance M. Divet. En 2016, 476 jeunes agriculteurs se sont installés. Après avoir baissé de 19 % entre 2014 et 2015, ce chiffre retrouve son niveau des années précédentes (2009-2013).
« Les jeunes qui sortent de l’école vont d’abord faire leur expérience, un grand nombre ne sont pas dans une reprise familiale. Ils s’installent en moyenne vers 29 ans », constate-t-il.
C’est le scénario envisagé par Marie, 18 ans, en BTS Analyse et conduite des systèmes d’exploitation en alternance dans une ferme dans l’Eure, payée 950 euros. « Je fais tout ce qu’il est possible de faire dans une ferme: donner à manger aux poules, aux porcs, traire les vaches… », énumère-t-elle. « Je tiens parce que j’aime les animaux et mon métier ». Déterminée, Marie confie ne pas aimer « recevoir des ordres ». Dans quelques années, elle souhaite « prendre ses propres décisions et diriger mon cheptel ».