Scolarisé pendant la Seconde Guerre mondiale dans la petite commune corrézienne de Sainte-Féréole, où son grand-père maternel était instituteur, Jacques Chirac a quitté la capitale, dès ses études terminées, pour labourer les terres limousines et forger son destin politique.
Elu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, il a ensuite pour mission d’aller rafler à la gauche un siège de député en Corrèze, dans la circonscription d’Ussel.
« La Corrèze était sa première expérience politique de terrain et il s’est attaché à un certain nombre de personnes et notamment des agriculteurs », explique à l’AFP François Guillaume, président du premier syndicat agricole, la FNSEA, de 1979 à 1986.
« Il y avait une sorte de pacte tacite entre les paysans et lui, un pacte d’estime et d’affection dont la Corrèze était le berceau », explique-t-il.
« Du plateau de Millevaches à la tête de veau sauce gribiche, l’ancien président de la République a toujours conjugué le respect des Hommes et de leurs savoir-faire », a réagi jeudi la FNSEA, syndicat majoritaire.
« Il a su trouver les mots et les actes pour nous témoigner respect, considération et, disons-le, affection. Les agriculteurs se sentaient encouragés et fiers. Une estime précieuse, face aux défis multiples qu’ils ont dû relever. En pleine période de doute, cette disparition trouve un écho particulier.
Jacqueline, habitante d’Ussel, résume ce lien à sa façon: « C’est quelqu’un qui aimait les gens, et qui aimait les ruraux, il était très proche des gens de la terre (…), nous on l’a rencontré plusieurs fois, mes enfants ont été assis sur ses genoux ».
Philippe Vasseur, ancien ministre de l’Agriculture, dans le gouvernement Juppé II, se souvient surtout de son « empathie ».
Star du salon de l’Agriculture
M. Vasseur ne retient aucune réforme agricole majeure, même si Jacques Chirac s’était vu confier le maroquin sous Pompidou, mais plutôt sa « complicité » avec le monde agricole et « la capacité qu’il avait de trancher en faveur du monde agricole ».
Au-delà de son appétit pantagruélique pour les produits du terroir, les agriculteurs lui sont d’abord reconnaissants d’avoir tenu tête aux Allemands: la FNSEA louait ainsi jeudi « l’énergie » déployée par l’ancien chef de l’Etat « pour porter haut la voix des paysans », et « la consolidation de l’axe franco-allemand avec l’accord Chirac/Schröder sur le budget de la PAC qui fait référence aujourd’hui encore dans l’histoire de l’Europe ».
« L’intérêt des agriculteurs est aussi l’intérêt de la France », disait-il à France 2 en 1999.
Encourageant l’effort productif paysan pour « nourrir le pays » après les restrictions alimentaires de l’après-guerre, Jacques Chirac a bénéficié d’une cote d’amour dans le monde rural qui s’est étendue aux terroirs, notamment pour l’acte II de la décentralisation mené durant son second mandat de président.
« Au salon, un agriculteur face à Chirac, c’était comme ma petite fille face à Justin Bieber », ose Philippe Vasseur, pour décrire la ferveur qui entourait le chef de l’Etat, lors de ses célèbres visites dans la plus grande ferme de France où il était reçu chaque année comme une star.
Lait glacé à la fraise, camembert coulant, jambon sur le pouce, « il mangeait beaucoup, vite, il ne faisait pas attention, il goûtait un peu tout », se souvient François Guillaume.
En 2011, affaibli par les conséquences de son AVC intervenu en 2005, Jacques Chirac se rend au salon pour la dernière fois. Il n’est plus ministre. Ni président. Le marathon habituel est écourté, mais il est toujours accueilli avec ferveur, causant une belle cohue dans les allées de la porte de Versailles.
A Sainte-Féréole, où il venait encore il y a moins de cinq ans boire des verres avec ses amis d’enfance sur la place du village, à l’ombre de la grosse maison de famille au toit d’ardoise, les plus anciens se souviennent encore.