«Je ne suis pas là pour vous faire des recommandations mais pour vous aider à vous faire une idée sur les évolutions du secteur agricole, telles que les identifient les scientifiques.» Marion Charbonneau, chercheuse et enseignante à l’Université de Pau, invitée à la tribune, a donné le ton immédiatement.
Injonctions contradictoires
Son intervention, lumineuse, a permis de mettre en ordre les contradictions dans lesquelles se retrouvent pris les agriculteurs: leur activité est à la fois cause et solution du changement climatique et de la diminution de la biodiversité, et devra répondre à l’augmentation de la population sur une surface en réduction, pour la nourriture, l’énergie et les matières premières.
«On demande à l’agriculture de produire plus en remettant en cause le modèle productiviste, un autre étant à inventer», a résumé la chercheuse. Sacré défi!
Après avoir relevé que l’agroécologie fait consensus, la chercheuse a développé les mécanismes de diffusion de l’innovation en agriculture: «Le terrain et les scientifiques ont constaté deux choses: les politiques descendantes, les mêmes partout, sectorialisées (uniquement centrée sur l’agriculture par exemple) ont du mal à faire évoluer les pratiques.»
Autre constat :«Les savoirs génériques, d’origine technique et scientifique, diffusés de façon descendante par les organismes de conseil, peinent à s’adapter à la réalité de vos exploitations.»
Diffusion des savoirs? Taches d’huile et anti-gravité
«On a du coup, en réaction, un mouvement qui cherche à inscrire les politiques agricoles dans les territoires en faisant en sorte que les projets soient participatifs, avec des thématiques et des objectifs non prédéfinis, une pluralité d’acteurs, pas uniquement des agriculteurs. On cherche aussi à s’appuyer sur des savoirs situés, issus de votre observation, des expérimentations que vous menez, qui s’échangent entre agriculteurs et non plus issus d’une structure de conseil.»
Et la chercheuse de citer deux exemples dont l’analyse du modèle de diffusion de la bio. «Bien entendu, cette diffusion dépend des types de production mais, a-t-elle souligné, les contextes sont plus favorables en fonction des politiques publiques, des débouchés, mais aussi des habitudes de coopération et des compétences collectives sur ces territoires.»
Elle a également cité les travaux d’Yves Poinsot et Aude Pottier (également chercheurs à l’Université de Pau) sur la légitimité territoriale des projets: «Cette dernière dépend de l’implication des agriculteurs locaux : plus ils sont impliqués, mieux le projet est accepté, de l’insertion sociale des porteurs de projets dans la vie locale et de l’attitude du conseil municipal ou de l’intercommunalité.»
Concrètement? PAT et GIEE aux avant-postes
Dans ce cadre, on voit émerger des projets collectifs locaux et territorialisés. L’Etat s’est appuyé pour cela sur deux grands dispositifs: les projets agroalimentaires territoriaux (PAT) et les Groupements d’intérêt économique et environnementaux (GIEE).
La chercheuse note que les cuma rentrent depuis longtemps dans cette dynamique qui s’installe, qu’elles se sont bien saisies de l’outil GIEE: elles représentent 12% des structures qui ont porté les GIEE, surtout sur l’autonomie, l’agriculture de conservation, la réduction des intrants, l’énergie et, plus loin, autour de l’agriculture biologique et de la biodiversité. Sur le territoire Landes-Béarn-Pays Basque de la fédération des cuma, la structure fait office de «pivot» pour coordonner les actions des agriculteurs et des structures qui les appuient dans la mise en œuvre des GIEE.