Après plus de 20 ans de tout en commun, la cuma de Collezy, assortie de sa société en participation (SEP) Colver, est à la croisée des chemins. Pour ce groupe d’agriculteurs, la mise en commun des moyens de production (terres, matériels, contrats légumiers) a été une réaction à la réforme de la Pac de 1992 qui supprimait les primes. C’est en 1994 que tout s’est accéléré. «On était tous en Ceta, à la suite de nos parents, et nous avions une volonté d’aller vers le non-labour avec du matériel pointu mais couteux à amortir», se souvient Benoit Carrière, agriculteur à Golancourt et membre du collectif depuis sa genèse en 1991.
Neuf exploitations (11 adhérents), avec des SAU allant de 40 à 240 hectares, se sont ainsi regroupées pour mettre le matériel en commun et surtout leurs terres. Avant que l’assolement en commun soit reconnu (LOA 2006), les agriculteurs avaient créé un GIE pour les achats d’intrants. Une fois le cadre juridique apparu, ils ont naturellement glissé vers la SEP. «C’est le meilleur outil lorsqu’il y a du faire-valoir indirect dans les exploitations», confirme Olivier Sterlin.
1ha=1ha
Avec 1350 hectares à exploiter, les associés de la SEP ont toujours cherché à fluidifier les prises de décision. «Bien qu’au départ nous avions imaginé un système de 10 coefficients à adosser au potentiel des parcelles apportées, nous avons finalement retenu la solution la plus simple : 1ha=1ha». Ainsi, tous les adhérents, quelles que soient leurs terres ou les productions apportées, étaient logés à la même enseigne.
La SEP Colver exploite des surfaces en céréales, oléagineux et protéagineux. Elle compte également sur des contrats betteraviers, en légumes verts pour Bonduelle ou en pommes de terre industrielles et fécules. Des bâtiments sont d’ailleurs adossés à cette organisation pour le stockage de 4.000 tonnes de pommes de terre. Du travail du sol au semis jusqu’à la récolte, sauf pour l’arrachage des betteraves, l’intégralité du matériel est partagée au sein de la cuma. Au plus fort de l’activité, il y a même eu jusqu’à 8 salariés et il a rapidement été décidé de créer un groupement d’employeurs pour gérer la main d’œuvre en commun. Chacun souhaitant conserver les emplois créés sur chacune des exploitations (voir schéma). «Au niveau gestion, on a souvent fait seul et on a participé grâce à notre association de personnes à faire avancer les outils juridiques pour garder nos entités de base tout en ayant une structure pour accompagner les choses portées en commun», explique Olivier Sterlin
En termes d’organisation, les agriculteurs ont cherché à donner une certaine indépendance aux adhérents en fonction de leurs domaines de prédilection.
Une réunion hebdomadaire de 2 heures rythmait l’organisation et la répartition de la charge de travail avec tous les opérationnels (agriculteurs qui sont là tous les jours sans les salariés). A cela s’ajoutait une réunion mensuelle d’une demi-journée davantage axée sur la stratégie d’investissement et les orientations du groupe. Enfin, «au niveau opérationnel et au jour le jour, ce sont les coordinateurs qui prenaient les décisions». Cela permettait à chacun de retrouver une certaine autonomie pour gérer un itinéraire cultural, la réception des commandes et l’organisation des chantiers. «A charge pour lui de spécifier lors de la réunion hebdomadaire la main d’œuvre dont il aurait besoin pour mener à bien ses projets». «On s’est beaucoup spécialisé, chacun sur un domaine, et on gérait comme ça. Chacun avait ainsi une responsabilité propre. Il n’y avait pas de meneurs mais plutôt un ou des coordinateurs. Au début, on partageait beaucoup sur nos décisions et avec le temps il y a eu moins d’échange», se rappelle Benoit.
Gagner du temps, mais à quel prix ?
«On voulait moins de travail, c’était presque la raison du regroupement», se remémore Olivier Sterlin. Mais en travaillant ensemble, les adhérents se sont vite rendu compte qu’ils comblaient ce temps dégagé avec de nouvelles activités. Plans de fraisiers, SARL pour espaces verts, développement de l’atelier légumes ou du stockage de pommes de terre. Au fil du temps, les créneaux dégagés ont vite été comblés par des diversifications plus ou moins éloignées de l’idée de départ. «On a travaillé plus et on a gagné plus», ironise Olivier Sterlin. Avec 2,9 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, la SEP confirme qu’économiquement le regroupement est plutôt intéressant. Le travail en groupe est également commode et vient conforter les décisions autant qu’il mutualise le risque face aux aléas qui peuvent toucher l’agriculture. Pour autant, réussir à obtenir l’unanimité peut prendre du temps voire reporter les projets. «On a passé des heures en réunion. On voulait toujours l’unanimité et parfois ça nous a empêché de prendre certaines décisions stratégiques», relate Benoit Carrière.
Une évolution naturelle
Enfin, la vision de l’agriculture de groupe peut évoluer et les attentes de chacun se décaler de la ligne originelle. «On avait fait une étude à l’époque pour retrouver du temps pour soi et on s’est laissé dévorer par nos sociétés», interprète Benoît. Autour de la table, il a fallu faire avec les caractères de tout le monde. Le «tout en commun» du début a dû revoir ses ambitions à mesure que les caractères s’affirmaient. Pour la campagne à venir, l’assolement sera réduit (5 exploitations 900 ha). La cuma de Collezy n’abritera plus que la moisson et l’atelier légumes (environ 15 ha d’oignons de semis, 40 ha de haricots, 20 ha de pois, 12 ha 12 ha de fécules, 95 ha de pommes de terre industrielles). Pour le reste, chacun retrouve le chemin de sa ferme et des trajectoires plus individuelles. Le groupe réduit espère que les décisions seront ainsi davantage collectives et spontanées.
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