Les médias l’appellent pour décortiquer le « vote paysan », éclairer la situation matrimoniale des agriculteurs, décrypter le désarroi des éleveurs. Ses analyses voyagent sur les ondes, ses citations se multiplient sous les rotatives, son visage s’affiche sur les écrans. On attend donc de François Purseigle, le « sociologue des mondes agricoles »*, un parcours millimétré d’universitaire. Raté… Dans le kaléidoscope de son enfance, on aperçoit une mère engagée qui reprend l’exploitation familiale près de Béziers. Un père double-actif, instituteur et agriculteur, issu d’une famille d’éleveurs de l’Allier. Le train qui traverse l’Aubrac pour aller l’été chez les grands-parents, dans le Bourbonnais. Des jeunes en difficulté, qui viennent partager les travaux agricoles et la table familiale, peut-être une deuxième chance. Ou encore sa mère, qui par conviction manifeste dans les rues pour l’agriculture méditerranéenne, une femme militante dans un monde d’hommes. Et le collège, où il s’ennuie.
Zootechnie
« Au sortir de la 3e, on m’a orienté vers un lycée agricole, où on pensait que j’aurais un BEP. Je n’étais pas destiné à devenir prof des universités et chercheur… On avait dit à mes parents qu’à part reprendre l’exploitation, j’avais peu d’autres possibilités. D’où mon orientation en lycée agricole, à Charlemagne à Carcassonne. Où j’ai rencontré des enseignants hors du commun, qui m’ont remis le pied à l’étrier. » Cela dit, il n’aurait pas été contre reprendre l’exploitation familiale… ce qu’il fait d’ailleurs avec son frère. Tous deux sont membres du GFA qu’ils ont constitué autour de l’exploitation où travaillent encore leurs parents. Laquelle, s’éloignant de la viticulture, s’est recentrée il y a une quinzaine d’années sur l’oléiculture et l’agrotourisme.
« On m’a fait confiance »
Au lycée, il s’épanouit : « des profs m’ont fait confiance. C’est la technique qui m’a sauvé : je savais à quoi ils faisaient référence. Je me suis dit que l’école était faite pour moi aussi. Je me suis rendu compte que la viticulture ne m’intéressait pas. Par contre je me voyais assez bien prof de zootechnie. » Le jeune homme se plonge aussi dans les livres. Notamment ‘La vie d’un simple’, d’Emile Guillaumin, paysan Bourbonnais du XIXe siècle, à l’origine du premier syndicat paysan destiné à défendre les métayers. L’ouvrage fait partie des lectures « étincelles », qui lui font prendre conscience que l’agriculture est un métier qui ne se réduit pas à sa dimension technique. « On m’a expliqué tôt ce que signifiait le fait de vivre sur une terre pauvre, ça m’a incité à lire sur ces questions. De fil en aiguille, je me suis orienté vers des lectures plus sociologiques. » Plus tard, après avoir enchaîné classes préparatoires et IUT de biologie appliquée à Lyon, il lit « Les champs du futur » de Bertrand Hervieu, le « déclic » de sa vocation.
La bonne distance
François Purseigle intègre l’ISA de Lille, où il prend confiance jusqu’à poursuivre avec un DEA « Economie et sociologie rurale » à l’Ensa de Toulouse. Il entame un travail sur l’implication des jeunes agriculteurs dans les organisations professionnelles, qui aboutira à la soutenance de sa thèse de doctorat et à la publication de son premier ouvrage en 2004, « Les sillons de l’engagement ». En filigrane : « une opportunité pour essayer de comprendre ce qui a animé ma mère, les raisons pour lesquelles elle s’était engagée, 20 ans plus tôt. J’ai approfondi cette problématique à travers l’étude des comportements politiques des agriculteurs au Centre de recherches politique de Sciences Po Paris où je suis chercheur associé».
Aujourd’hui, il a trouvé une position d’équilibre, assume sa filiation en la gardant à distance: « j’aime parler de ce milieu dont je suis issu, dit-il. J’ai de l’empathie pour lui et en même temps j’essaie à travers mon métier d’avoir un regard critique. Mais ce n’est pas parce que j’en viens que je suis légitime. C’est justement parce que j’en viens que je dois me doter d’outils, que la sociologie me fournit, pour mieux le comprendre. La filiation n’est peut-être pas le meilleur moyen pour y parvenir. Pendant très longtemps, les sociologues ont cru qu’il fallait se détacher de ce qu’ils étaient sur le plan individuel pour se saisir de la réalité sociale. »
En creux
« Je n’ai pas besoin de travailler sur les formes familiales d’agriculture pour me persuader qu’elles existent, poursuit François Purseigle. Je sais qu’elles sont résilientes et ce qu’elles peuvent faire. Mais j’ai envie de comprendre d’autres formes d’agriculture qui ne sont pas celles dont je suis issu. » En décembre dernier, il organisait à Toulouse un séminaire international autour du développement de «l’agriculture de firme », ces nouvelles formes d’organisation étant devenu au fil du temps son principal thème de travail. Réaction à chaud de l’un des participants : « ce séminaire sur l’agriculture de firme nous renseigne sur l’agriculture familiale, de manière bien plus intéressante que lorsque nous nous réunissons pour parler d’agriculture familiale ! » En dehors mais en dedans : François Purseigle a trouvé son équilibre.
Biographie Express: 1973 : naît à Chamalières (63) 1989 : lycée agricole de Carcassonne 1999 : ingénieur en agriculture (Isa de Lille) 2004 : parution des « Sillons de l’engagement » 2010 : *parution de « Sociologie des mondes agricoles », co-écrit avec Bertrand Hervieu2011 : habilitation à diriger des recherches, Sciences Po Paris. 2015 : devient professeur des universités à l’INP-Ensa de Toulouse |