Cela traduit le rapport de la France à l’Europe aujourd’hui et le rapport de la France à la Grande-Bretagne depuis toujours », résume Dominique Moïsi, de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et professeur au King’s College de Londres. Une série d’enquêtes réalisées d’avril à juin par trois instituts différents convergent pour évaluer entre 32% et 41% la proportion de Français qui verraient d’un bon oeil leurs voisins britanniques voter le 23 juin pour larguer les amarres d’avec l’UE. C’est moins que ceux (58% à 62%) pour qui une sortie de la Grande-Bretagne serait une mauvaise nouvelle. C’est plus en revanche que chez tous les autres partenaires européens de Paris, notamment l’Allemagne où les pro-Brexit n’excèdent pas 15%.
« La Grande-Bretagne est en réalité le pays le plus proche de la France sur le plan historique et cette proximité crée une grande rivalité », souligne Dominique Moïsi, rappelant notamment le passé commun de puissances coloniales des deux plus vieux Etats nations de l’UE. Au fil de la construction européenne, la liste est longue des crises entre Paris et Londres: du double veto du général de Gaulle dans les années 60 à l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, aux « clashes » sur la politique agricole commune.
Une anecdote de 1988 est restée célèbre, quand Jacques Chirac, alors Premier ministre, s’en prit à Margaret Thatcher lors d’un sommet européen, ulcéré par l’exigence de la Dame de fer d’un rabais sur la contribution britannique au budget communautaire. « Qu’est-ce qu’elle veut de plus, cette ménagère? Mes couilles sur un plateau? », s’était-il exclamé, sans savoir que son micro était ouvert. Quinze ans plus tard, devenu président, M. Chirac s’opposera de nouveau frontalement à Londres sur la guerre en Irak.
Au-delà de relations passionnelles entre les deux pays au fil des siècles, la part élevée de partisans français du Brexit a ceci de paradoxal qu’elle associe, pour des raisons diamétralement opposées, anti-européens d’extrême droite, souverainistes, et militants d’une Europe fédérale.
Opinion française ambivalente
« C’est un mélange des deux (souverainisme et fédéralisme): si les Britanniques disent ‘non à l’Europe’, on va être obligé de repenser l’Europe; il y a aussi l’idée qu’on pourra mieux penser l’Europe sans eux », analyse Dominique Moïsi. « Pour l’extrême droite, c’est le début de la fin, le signal attendu depuis très longtemps: ça veut dire qu’on va pouvoir demander la même chose », abonde François Lafond, professeur à Sciences-Po.
Vendredi à Vienne, la présidente du Front national Marine Le Pen a ainsi dit voir dans les « forces du Brexit » un « signe fort » de la « dynamique du printemps des peuples ». « La France a peut-être mille fois plus de raisons de vouloir sortir de l’UE que les Anglais », a-t-elle estimé, souhaitant que « tous les pays soient interrogés sur leur relation à l’UE ».
A l’opposé, côté fédéraliste, poursuit François Lafond, « il y a l’impression en France que les Britanniques ont toujours été un frein à l’approfondissement de l’Union européenne. Intuitivement, certains se disent ‘s’ils partent, on pourra faire plus' ». L’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard s’est fait l’avocat le plus direct de cette ligne, affirmant dès décembre 2015 que « naturellement, l’Europe ne pourra être relancée sans que les Anglais en sortent ».
L’euroscepticisme n’est pas nouveau en France, où la Constitution européenne a été rejetée par référendum en 2005, mais il va croissant. Selon une étude du Pew Research Center américain, la France est le pays où le soutien à l’UE a le plus chuté en un an (-17 points à 38%). La même enquête souligne l’ambivalence des Français: 39% souhaitent que l’UE rendent des pouvoirs aux Etats membres (43% en Allemagne et 65% au Royaume-Uni), mais 34% prônent à l’inverse plus de transferts à l’échelon européen (26% en Allemagne, 6% au Royaume-Uni).
Actualités AFP sur le Brexit et le référendum.