Des responsables qui font à la place des adhérents. Des salariés qui font le travail des responsables. Et des adhérents qui, pour certains se comportent en « clients » de la cuma. Mais d’autres, aussi, ne se retrouvent plus dans ce groupe « inexistant ». Dans le fonctionnement d’une cuma, certains acteurs outrepassent leurs droits. Il n’y a également plus de réelles discussions, beaucoup moins de contacts ou de réunions physiques, une organisation réduite au maniement d’outils numériques pour davantage d’efficacité, et zéro convivialité. Bien sûr, il y a des groupes dans lesquels tout fonctionne bien, et heureusement. Il suffit d’aller faire un tour dans les pages « Grandir ensemble » d’Entraid chaque mois pour s’en convaincre. Mais les responsables de cuma, sur le terrain, se font de plus en plus fréquemment l’écho d’un surengagement de leur part. Ils constatent également un désengagement de la part des adhérents.
Nelly Villanti et Carine Belin, de l’Agence d’Occitanie de l’amélioration des conditions de travail (Aract Occitanie), finalisent cet automne un programme sur la gestion des pics de travail des salariés de cuma avec des groupes de la région, avec l’appui de cuma volontaires. Les deux chargées de mission ont un poste d’observation idéal, et leur expertise sur les conditions de travail leur permet de disséquer le fonctionnement des cuma qu’elles étudient. Et qui font écho à ces retours de responsables, bien au-delà de l’Occitanie. Voici leur diagnostic, pour que chacun reste « dans son rôle ».
Des réorganisations côté responsable pour le bon fonctionnement d’une cuma
Nelly Villanti et Carine Belin font remonter trois problématiques principales qui affectent les conditions de travail des salariés, et que les responsables de cuma tentent de réguler.
Premier facteur : l’organisation des chantiers en phase de pics de travaux agricoles, avec fréquemment des adhérents qui appellent le salarié « en direct ». « Les responsables des cuma que nous avons rencontrés ont le souci de protéger les salariés de ces demandes supplémentaires, qui viennent perturber les plannings », explique Nelly Villanti.
« Mais ils ont du mal à tenir dans la durée. Parfois, les responsables essaient de trouver un arrangement, quand ils le peuvent. Mais cela crée bien souvent des tensions plus tard, car ils ne peuvent pas donner de la souplesse tout le temps et à tout le monde : les adhérents demandent de la cohérence, sinon ils se disent « pourquoi lui, et pas moi ? » décrit-elle.
Deuxième situation récurrente identifiée : l’aléa, les réorganisations nécessaires, et le fait de tenir toutes les parties concernées informées au même degré en temps réel. Un problème auquel de nombreuses cuma répondent, lorsque les adhérents sont équipés de smartphones, en créant des groupes de messagerie instantanée (type WhatsApp, lire si dessous l’encadré consacré aux outils numériques).
Côté salarié : le ras le bol
Troisième cas de figure : les salariés en ont assez ! « Lorsque le service ne correspond pas à leur idéal, les adhérents ont tendance à menacer de faire appel à une entreprise de travaux agricoles. Cela met une très grosse pression à la fois sur les responsables et les salariés. Avec un impact direct sur les conditions de travail des salariés, en termes d’heures et de stress, » analyse Carine Belin.
« Or, ce que nous avons constaté, c’est que le niveau d’engagement des salariés de cuma que nous avons rencontrés est hors du commun, pointe-t-elle avec sa collègue. « Ils ne font pas seulement ce que l’adhérent demande, ils vont au-delà parce qu’ils prennent compte le fait que la qualité de leur travail a un impact pour le reste de l’année sur l’exploitation de l’adhérent. Ils gèrent leur travail, en l’état de leurs connaissances, comme s’ils étaient l’agriculteur, parfois au détriment de leur propre santé. Or dans une entreprise classique, le salarié fait strictement ce qu’on lui demande, même s’il sait que ce n’est pas la bonne décision. »
Côté adhérents : retrouver son rôle dans le fonctionnement de la cuma
Pour remettre chacun « dans ses bottes », Nelly Villanti et Carine Belin préconisent aux responsables de cuma de réorganiser des espaces de discussion sur le travail pour le bon fonctionnement de la cuma. En clair ? D’arrêter d’organiser « à la place » du groupe. Il doit fournir à ce groupe les conditions de sa propre organisation, en organisant des rencontres et des réunions physiques.
Cela peut être de manière ponctuelle, pour investir ou débriefer une campagne, « pour exprimer ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné », explique Nelly Villanti. « On oublie ces bilans mais ils sont très, très précieux pour le fonctionnement d’un groupe. Y compris pour garder trace, et repartir d’une base saine l’année suivant. En n’oubliant pas ceux qui ont faire un effort de compromis par exemple, pour que cela ne soient pas toujours les mêmes », précise-t-elle.
Et cela peut aussi s’organiser de manière hebdomadaire (ou plus), pour discuter et s’accorder sur l’organisation du travail et des chantier, en phase de pic.
« Tout le monde a ses contraintes »
« C’est très facile pour un adhérent, au téléphone avec un salarié ou un responsable, de faire pression sur une seule personne dans un moment de tension, relève Neely Villanti. « En revanche, lorsque les responsables organisent des réunions d’organisation des chantiers, que les adhérents y assistent pour donner leurs contraintes, ils peuvent aussi écouter celles des autres. Et ils ne peuvent pas dire devant leurs pairs « c’est comme ça et pas autrement ! » Cela ne serait pas acceptable, car tout le monde a ses contraintes. »
« Il faut aussi aux responsables assez d’assise pour pouvoir faire respecter les règles de la réunion, souligne Carine Belin. « S’il y a par exemple un tableau pour distribuer les créneaux d’intervention pendant la réunion, il est inacceptable que des adhérents passent avant la réunion pour les remplir, sans assister au reste de l’échange. Autant, ce n’est pas aux responsables de faire le planning « à la place » des adhérents, autant, c’est à eux de faire respecter les règles : pour réserver un créneau, il faut assister aux échanges, s’exprimer calmement, écouter les contraintes des autres, et trouver ensemble des marges de manœuvre et des solutions. »
En pratique : comment dire « non »?
Dire « non » pour le bon pour le bon fonctionnement d’une cuma. Pour Carine Belin, de l’Aract Occitanie, « il est plus facile de dire « non » à une requête quand on est persuadé qu’on a raison, que l’on peut s’appuyer sur des règles existantes, du type Règlement intérieur, ou bien des cas similaires par le passé. Mais aussi quand on n’est pas le seul à répondre par la négative. D’où l’intérêt de ne pas rester seul, de capitaliser sur les expériences passées, et de pouvoir échanger avant que les situations se durcissent », explique-t-elle.
En pratique : outils numériques ? Oui mais…
Les outils numériques, notamment ceux de communication et de réservation à distance, ont pris un large essor depuis la crise liée au Covid-19 dans le fonctionnement d’une cuma. Sans nier leur utilité, adhérents et responsables de cuma doivent veiller à ne pas les utiliser « en remplacement » des moments passés à échanger, notamment physiquement. Sans contact, sans discussions ouvertes, les cuma ne sont plus des cuma.
Ci-dessous deux situations « type » fictives, mais inspirées de la réalité pour dégager les responsabilités des uns et des autres.
Théo, salarié, se met la pression pour le bon fonctionnement de la cuma
Théo enchaîne les chantiers de pressage-enrubannage chez les adhérents de la cuma pour laquelle il est salarié. Cette activité en service complet fonctionne particulièrement bien : elle permet aux adhérents de se dégager du temps à une période chargée. Et la machine, un poil sophistiquée, fait peur à certains. Sans compter qu’en alignant les chantiers, Théo est bien plus efficace en termes de débit de chantier. Aujourd’hui, il doit « avaler » un paquet d’hectares chez Jean-Luc et terminer la journée chez un autre adhérent, Mickaël, un peu plus loin.
Problème : la pluie menace et les surfaces de pressage de Jean-Luc s’avèrent beaucoup plus importantes que ce qu’il avait déclaré. Après plusieurs coups de fil de Mickaël, furieux de voir les opérations traîner, Théo arrive enfin… avec la pluie. Mickaël menace de se désengager de la cuma pour cette activité. « L’année prochaine, j’appelle l’entreprise ! » lance-t-il à Théo, qui n’a d’autre choix que de rentrer garer la machine avec cette altercation en tête.
Qu’est-ce qui cloche ?
Jean-Luc, l’adhérent, a été soit distrait, soit malhonnête sur les surfaces qu’il souhaite déléguer au salarié de la cuma pour le chantier de pressage-enrubannage. ça ne passe pas : la réalité rattrape le salarié qui prend, en toute logique, du retard dans l’enchaînement de ses missions.
Les risques
Cette mauvaise estimation des surfaces peut remettre en cause le professionnalisme et la crédibilité de la cuma et de son salarié. Pour certaines activités « stratégiques » pour les exploitations, l’adhérent lésé peut effectivement, une fois ses engagements terminés, choisir d’aller voir ailleurs, ce qui peut remettre en cause l’équilibre économique des activités de la cuma. Quant au salarié qui a dû se prendre la situation « en pleine face », en cas de répétition de ce genre de situations, il peut légitimement choisir de prendre le large pour se diriger vers un emploi moins exposé. Au bout du compte, lorsqu’une activité disparaît au sein d’une cuma, l’ensemble des adhérents doit trouver d’autres solutions pas toujours économiques : la propriété, la copropriété ou le recours à une prestation en entreprise.
Que faire ?
Au responsable « salarié » de recadrer les adhérents sur leurs engagements et sur « qui est responsable de quoi ». À lui également de rappeler au salarié qu’en cas de difficulté, il doit être le premier informé pour pouvoir assumer les décisions.
Aux adhérents de transmettre des informations correctes aux responsables et au salarié. Cela fait partie de leur engagement vis-à-vis du collectif. Charge aux adhérents également de s’adresser à la bonne personne : les consignes techniques au salarié. Et les questions relatives à l’organisation au responsable salarié (ou d’activité).
Au salarié de communiquer avec son responsable en cas d’aléa ou de changement.
Julien, adhérent, gère tout depuis son smartphone
Julien adhère au service complet de la cuma pour le semis de maïs. Il voit arriver cette période avec appréhension. Tous les adhérents reçoivent, au même moment, le message du technicien de la coop les informant de la meilleure fenêtre de semis. Du coup, tout le monde se précipite pour demander le service en même temps… et c’est le chaos. Les responsables ont bien essayé de faire des réunions de plannings. Mais certains s’inscrivaient « en douce » avant que la réunion commence.
Du coup ils ont tout géré au téléphone eux-mêmes. Mais comme c’est infernal. Ils ont décidé de mettre en place un service de réservation en ligne, sur une base « premier arrivé, premier servi ». Julien est dans les starting-blocks pour se positionner, mais il doute que cela se passe en douceur… Et il sait que le chaos recommencera l’année prochaine. De toute façon, les semis, c’est toujours tendu avec les conditions météo qui changent tout le temps.
Qu’est-ce qui cloche ?
Les responsables n’ont pas fait respecter les règles de la cuma en premier lieu lors des réunions de planning. Puis ils ont organisé les chantiers « à la place » du collectif. Avant de finalement laisser les adhérents « se gérer » individuellement à travers un outil de réservation numérique. À toutes les étapes, c’est la foire d’empoigne.
Les risques
S’ils n’appréhendent pas physiquement le collectif, il est difficile pour les adhérents de s’y impliquer. Cela complique également la compréhension des contraintes des uns et des autres. Un fonctionnement reposant uniquement sur des outils numériques, sans moment de partage, renforce les comportements de « consommateurs ». Ces comportements sont souvent dénoncés par les responsables de cuma.
Que faire ?
Aux responsables de ne pas faire « à la place du collectif »… mais de faire leur « job » de régulation du groupe. C’est-à-dire fixer des règles et les faire respecter. Dans certaines cuma, un responsable ou un salarié a toute autorité pour organiser les plannings des chantiers,. Il a également toutes les connaissances requises. C’est très confortable, mais c’est assez rare. Dans bien des cuma, une personne organise les chantiers au téléphone. Les adhérents les appellent chacun à leur tour. Il n’y a donc pas de régulation collective, pendant laquelle les adhérents s’écoutent les uns et les autres.
Pour que chacun prenne ses responsabilités, il appartient aux responsables de ne pas tout organiser. Il ne doit pas décider « à la place des autres ». Leur rôle est plutôt d’animer le collectif en fixant les règles et en les faisant respecter. Mais aussi de faire des bilans écrits pour garder la mémoire et rectifier ce qui n’a pas fonctionné. Pour que d’une année à l’autre, ce ne soient pas toujours les mêmes qui fassent des concessions par exemple.
Aux adhérents de contribuer au collectif, en se rendant physiquement aux temps de réunion et d’organisation par les actions suivantes :
- Prendre du recul par rapport aux préconisations techniques ;
- Respecter les règles fixées par les responsables ;
- Exprimer er écouter les contraintes des autres pour trouver des solutions… ensemble.
Aux salariés de contribuer au collectif, à hauteur de leur expertise.
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