Plus on me dit qu’un projet ne se fera pas, plus j’ai envie d’y aller.» La voix chante, les yeux désarment, le sourire renverse: un charme ébouriffant, au service d’une personnalité tournée vers l’action. «Je suis dans le ‘faire’», s’amuse-t-elle. Et de fait, Evelyne Guilhem, femme de réseaux, a actionné bien des leviers depuis 1995. A cette date, à 30 ans, elle décide de reprendre ses études. Elle s’est mariée à 19 ans avec Alain, agriculteur à quelques encablures de Castelnaudary. Son arrivée déclenche un changement de stratégie radical sur l’exploitation de 50 ha: pour faire vivre une famille, le couple s’oriente vers des parcelles à plus forte valeur ajoutée, les oignons (pour lesquels la coopérative locale, la CGO à l’époque, propose des contrats) et les melons notamment. Pour ces cultures qui requièrent du matériel spécialisé et performant, Evelyne et Alain Guilhem font appel pour la première fois à la cuma de Naurouze. Puis deux enfants naissent, deux enfants auxquels Evelyne se consacre pleinement, en parallèle de son travail sur l’exploitation.
Cataloguée
Pourquoi alors reprendre des études en 1995, alors que «tout roule»? «Sur tous les papiers: pas de statut, même si je suis devenue conjoint-collaborateur. Sans profession, on est vite catalogué.» Celle que ses parent destinaient à devenir experte-comptable, passe un deuxième bac par correspondance, pour obtenir la capacité professionnelle et pouvoir s’installer en Earl. Dans la foulée, Alain et elle décident d’aller plus loin dans leur investissement en cuma. «Notre matériel était devenu vétuste, y compris celui lié aux grandes cultures. Nous avons donc décidé d’adhérer à la cuma de Fount del Prat et de mettre en cuma le cœur de notre exploitation, c’est-à-dire la moissonneuse, le matériel de travail du sol, la débroussailleuse, le hangar. Et nous avons aussi participé à la création d’un groupement d’employeurs, mais pas en cuma car à cette époque, la possibilité de faire travailler les salariés de cuma à hauteur de 49% du CA, sur les exploitations des adhérents, n’existait pas encore.»
Au contact
C’est aussi à cette époque qu’elle construit son premier réseau : «Tous les matins, l’été, je faisais les marchés pour vendre les melons. J’ai construit énormément de liens comme ça. Un jour, les enfants m’ont dit qu’ils ne me voyaient plus. J’ai donc arrêté ces marchés, mais je me suis retrouvée très seule.» Et c’est paradoxalement sa rampe de lancement: Evelyne Guilhem, qui se décrit comme une ex-timide, pour qui «parler en public était un énorme challenge», a besoin de contacts. Elle accepte la proposition du président de la cuma, Guy Bondouy, d’intégrer le conseil d’administration. Elle devient au bout de quelques années administratrice à la fdcuma de l’Aude, en charge de l’emploi et de la formation. Puis le syndicalisme lui fait de grands signes: elle met en place l’opération Fermes ouvertes, à destination des enfants. Sa coopérative lui ouvre les bras: c’est la naissance de la «carte jeunes», pour faciliter l’intégration de nouveaux adhérents. La Fête du Cassoulet lui fait yeux doux: elle devient trésorière et responsable communication de cette manifestation qui rassemble chaque année 60.000 personnes sur 5 jours à Castelnaudary, «capitale mondiale du cassoulet», avec à la clé un budget de 250.000€. De fil en aiguille, elle fait connaissance avec le monde agricole audois, mais aussi avec les associations et le monde politique, s’aguerrit, se forme à la communication. «Je suis assez consensuelle, note-t-elle en souriant. J’arrive à mettre des personnes autour de la table sans qu’ils s’entretuent!»
Passerelles
En 2008, elle devient adjointe au maire de Castelnaudary, Patrick Maugard, en charge de l’environnement et de l’agriculture. «Il y avait tout à créer, précise-t-elle. Au départ, nous avons mis au point un Plan de désherbage avec la chambre d’agriculture, pour tendre vers le «zéro phyto».» La première mandature est aussi l’occasion pour Evelyne Guilhem de mettre en place la semaine de promotion des fruits et légumes Fraîch’Attitude, qui lui ouvre la voie pour, petit à petit, à distribuer un fruit frais par jour aux scolaires. «Une initiative qui paraît toute simple, souffle-t-elle, mais qui a demandé un travail de longue haleine», à la fois sur la mobilisation du monde enseignant et la logistique. Tout à coup, elle revient aux cuma: «Le fait, dès le départ, d’être dans des projets de groupe, ça nous imprègne. C’est une dynamique que l’on met en pratique dans d’autres domaines.» Et l’adjointe au maire enchaîne sur la semaine du développement durable, qui lui permet de mettre en valeur toute la dynamique mise en place sur l’environnement, l’énergie, les modes de déplacement doux dans la ville. Elle organise par exemple une projection grand public des Moissons du futur, avec Lydia et Claude Bourguignon, qui animent aussi une formation rassemblant élèves, agents municipaux, étudiants du Cfppa, agriculteurs adhérents à l’Aoc Sols…
«Développement durable» : elle rajoute ce champ de compétence au service qu’elle demande à créer, lors de sa deuxième mandature. Un jour, on lui parle de «retour de bâton». Mais Evelyne Guilhem, à l’écoute de ses multiples réseaux, analyse la situation à l’aune de ce qu’elle voit et entend. «Le ‘zéro phyto’, par exemple, a pu être dur à accepter pour certains. Nous sommes maintenant donnés en exemple, nous gagnons des habitants et de la qualité de vie. La ville a été lauréate de Territoires à énergie positive pour la croissante verte.» Aujourd’hui, administratrice à la Fncuma et première vice-présidente de la chambre d’agriculture de l’Aude, elle a choisi de se concentrer sur l’emploi et la formation, créant des passerelles, avec des résultats très concrets pour le monde agricole. Fatiguée? «Parfois j’ai envie de me poser, dit-elle, mais en même temps, j’ai plein de chose à faire. Alors, maintenant que j’ai appris à dire non, je fais des choix, je pose mes conditions.» Messieurs, vous êtes prévenus.