La fertilisation phosphatée passe souvent à la trappe. Avec la hausse des prix du phosphore et sa rareté, les agriculteurs reportent souvent les apports. Cela est encore plus vrai en agriculture bio, où les disponibilités de cet engrais sont relativement restreintes. Cependant, c’est un élément important dans la fertilité des sols. « Le risque étant de constater un appauvrissement progressif des sols en phosphore », s’inquiète Grégory Vericel, ingénieur chez Arvalis, spécialisé dans la fertilisation. « Pour le moment, certaines exploitations, en bio ou en conventionnel, vivent sur leurs réserves. Et même en présence d’apports organiques, ceux-ci sont parfois mal répartis entre les parcelles ou ne compensent pas les exportations. » Retour sur l’engrais phosphaté naturel et sa fertilisation.
Engrais phosphaté naturel et sa fertilisation : le tour de la question
L’objet de l’étude Phosphobio, présentée en novembre 2024, avait pour but de mettre à jour les connaissances sur la fertilisation azotée dans un système cultural bio. Dans un premier temps, il s’agit de diagnostiquer la fourniture disponible dans les sols. Pour cela, les analyses de rendements, des végétaux, mais aussi les itinéraires ou encore les profils culturaux apportent déjà une bonne indication. Les analyses de sol donnent également le taux de phosphore présent dans le sol, mais ne renseigne pas sur sa disponibilité.
« Nous avons pour habitude de diagnostiquer la quantité de phosphore avec la méthode Comifer, basée sur les exigences des cultures, la teneur théorique du sol, les précédents et l’historique de la fertilisation », explique Matthieu Valé responsable technique chez Auréa. « Or, nous avons besoin d’adapter les seuils avec la diversité des cultures et les conditions climatiques. Et améliorer la mesure du phosphore disponible. »
Azote et phosphore, le lien
Toutefois, les agriculteurs bio peuvent s’appuyer sur une moyenne nationale établie à 44 ppm. « Ces valeurs varient selon le type de sol », explique Charlotte Glachant, conseillère à la chambre d’agriculture d’Ile-de-France, qui a tenté de faire un état des lieux national. « Les sols argilo-calcaires sont moins pourvus de phosphore. » Ces différences entre les territoires sont forcément exacerbées par la fréquence et les doses des apports. Mais aussi par la présence des couverts végétaux dans la rotation. « En effet, la teneur en phosphore est plus élevée, car les agriculteurs profitent de cette interculture pour fertiliser leurs parcelles, poursuit-elle. Il est donc difficile de savoir à quoi est liée cette teneur. »
L’autre constat concerne les légumineuses. « Plus elle est fréquente dans la rotation, moins la teneur est importante, constate la conseillère. En effet, les agriculteurs ont tendance à ne pas fertiliser leurs sols en azote, ce qui implique une impasse dans ceux de phosphore, mais aussi en matière organique. » Un lien ?
Un retard difficile à combler
Ainsi, selon l’étude, les exploitations françaises tendent vers un appauvrissement des sols en phosphore. « Lorsque le sol possède un bilan positif, les teneurs en phosphore dans les sols français sont stables, voire en retrait, et ce, malgré les apports », annonce Aloïs Artaux, conseillère à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. « Lorsqu’il y a peu d’apports, la baisse est accrue, même si la vitesse varie selon les sols, mais aussi les pratiques culturales, le stock de départ ou encore les exportations. »
En agriculture bio, la perte de production est due avant tout aux manques d’azote ou aux autres facteurs limitants (comme les adventices, maladies ou carences par exemple). « Si l’azote n’est pas limitant, le rendement sera meilleur, mais le déficit en phosphore sera accru, explique Justine Demay, chercheuse. En revanche, si l’azote limite la production, alors le rendement sera moindre, mais le déficit en phosphore aussi. »
Toutefois, l’évolution du phosphore dans les sols reste difficile à prévoir. « Il faudrait approfondir les liens entre la minéralisation du phosphore organique dans le sol sur la solubilisation de celui inorganique, conclut Grégory Vericel. Dans tous les cas, il ne faut pas attendre les carences et adapter ses stratégies de fertilisation minérale. »
Engrais phosphaté naturel : de nouveaux indices adaptés au contexte
L’étude soulève plus principalement l’inadéquation des seuils d’apport de phosphore et d’impasse. Surtout en agriculture biologique. Ainsi, les chercheurs ont établi des valeurs seuils pour la culture du blé tendre, le maïs (15 PPM pour un seuil critique, 25 pour un seuil de vigilance) et pour le soja et le tournesol (entre 0 et 10 ppm).
Ils ont également testé une autre approche. Il s’agit de s’appuyer sur les indices de nutrition de la plante pour le phosphore. Il est bien souvent calculé à partir de celui de l’azote, qui est davantage connu. Cet indice détermine la teneur minimum en phosphore pour avoir un certain niveau de biomasse. « Toutefois, en agriculture, et en bio plus encore, les facteurs limitants aux rendements sont nombreux. Ils peuvent être causés par les adventices, la météo, une faible disponibilité de l’azote notamment. Toutefois, certains seuils ont été établis. »
« En blé tendre, le seuil d’un INP (indice de nutrition phosphaté, ndlr) de 75 aura une incidence sur le rendement causé par une carence », indique Grégory Vericel, agronome chez Arvalis. « Au-delà de 120, l’incidence sera limitée. » Pour le maïs grain, cet indice varie entre 75 et 140, et pour le soja, entre 80 et 100. « Ces seuils sont surtout utiles lorsque la quantité d’azote est limitante, reconnaît l’ingénieur. Mais les analyses de sols restent plus fiables, d’autant que ces valeurs seuils dépendent des conditions de prélèvement de la plante. »
Le phosphore, élément peu disponible
Le phosphore est un nutriment des plantes qui peut se trouver sous forme organique ou non organique. Il se déplace très peu dans le sol. Il demande donc à la plante de développer ses racines pour y accéder au plus près. Lorsque le phosphore est limité, la plante peut présenter des carences, se teintant de violet et voyant l’efficacité de la photosynthèse diminuer. Résultat, il y a un retard de maturité de la plante et un recul du rendement.
On peut également constater un manque lorsque les racines de plante sont nombreuses et fines. « Les apports doivent être maîtrisés avec une quantité calculée différente de celle exportée », rappelle Alain Mollier, chercheur à l’Inrae. « En effet, si en moyenne, une plante exporte 20 à 30 kg/ha/an de phosphore, elle en mobilise 40. »
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