C’est l’heure de la pause pour Daniel Bouqillon et ses six salariés. Elle est bien méritée puisque cela fait déjà deux heures et demie qu’ils s’affairent à leur poste : cassage, emballage, mise en bac… Les endives jaunies sur leur pointe passent par au moins quatre paires de main avant d’être emballées en sachet.
Attaché au management
C’est une mécanique qui tourne grâce aux six employés. Parmi eux, quatre sont saisonniers pendant huit à neuf mois de l’année. Un est là de manière permanente et le dernier est embauché par le groupement d’employeurs. Cela permet de combler les besoins.
Mais le rodage ne fonctionne pas toujours aussi bien. « Je viens de récupérer mon effectif normal, lance d’un air soulagé Daniel Bouquillon, endivier bientôt à la retraite. Ce n’est vraiment pas facile de trouver du personnel. Cette année, j’avais embauché une salariée, mais il s’est avéré qu’elle était allergique aux endives. Il m’a fallut un mois et demi pour la remplacer. »
Pourtant, la boutique Bouquillon ne semble pas faire partie de celles où ne voudrait pas y travailler. « J’ai toujours essayé de faire en sorte qu’on se sente bien ici, ajoute le chef d’entreprise. Je n’hésite pas à apporter le petit déjeuner, on travaille dans la bonne humeur, avec de la musique. Tout le monde joue le jeu et encore plus dans les coups de bourre. Je suis attaché au management. Sans compter sur ses salariés, on peut avoir une belle entreprise, ça ne tournera jamais. »
Electricité multipliée par huit
Malgré la hausse des charge, Daniel Bouquillon et son fils, en passe de prendre la suite, ont tout de même versé des primes à leurs salariés en 2022. « Chacun est payé au smic pour plus d’égalité. Mais lorsqu’on le peut, on n’hésite pas à remercier nos salariés avec des primes. »
Pourtant, il n’y avait rien d’acquis niveau économique. Les charges de production ont explosé depuis deux ans. Pour avoir un ordre d’idée, Daniel Bouquillon illustre : « L’électricité, je la payais en décembre 2021 en heure pleine 5,82 centimes d’euros par kilowatt/heure, décrit-il. Le 1er janvier 2022, ce tarif a augmenté à 22,20 centimes. Et depuis le 1er janvier 2023, il a doublé à plus de 48 centimes. »
Une augmentation qui n’arrive pas seule : la charge salariale, le prix des emballages en hausse de 20 % ainsi que le coût de production des racines. « C’est une valeur difficile à chiffrer, avoue l’agriculteur. Je pourrais donner un coût de production sans connaître le rendement de mes 20 hectares de racines. Ça, je ne le saurais qu’à la fin de la campagne. » Pour autant, selon ses calculs, il faut compter pas moins de 33 000 €/ha pour produire ces endives. La main-d’œuvre et l’électricité sont les deux postes les plus importants.
Production modulable
Cependant, Daniel Bouquillon reste optimiste. « Nous bénéficions des aides de l’Etat qui permettent à nos entreprises de bénéficier d’un amortissement énergétique, reconnaît-il. Et depuis la hausse des tarifs, la grande distribution, qui représente 70 % de nos débouchés, jouent le jeu. Avec un prix à 1,50 €/kg, nous restons à l’équilibre. »
Stéphane Jacquet, directeur des associations d’endiviers est moins positif. Sur le pont depuis la mi-septembre, la filière, grâce à deux dispositifs cumulables a réussi à négocier une prise en charge de 30 % des coûts de l’électricité globalement. « L’amortisseur énergétique prendre en charge en moyenne 25 % de la facture énergétique des entreprises, détaille-t-il. Avec, bien sûr, des modulations selon les entreprises. Le guichet d’aides, quant à lui, prend en charge 5 %. Mais ce n’est pas suffisant. » La filière remonte d’ailleurs au créneau pour se faire entendre.
Cependant, l’endivier le concède, la production d’endives reste très modulable. « Je fais pousser mes volumes d’endives selon le marché, explique-t-il. Si je n’ai pas forcé la totalité des racines à la fin de la campagne, je peux les stocker jusqu’à la saison suivante, même si cela représente un coût supplémentaire. » Ainsi, au printemps, avant les semis de racines, une estimation des volumes à produire est annoncée par le technicien de la coopérative.
Production stable
« Depuis plusieurs années, les surfaces sont stables, je sème et fait pousser 20 ha d’endives, précise l’endivier. Je reste à l’écoute du marché. S’il faut réduire, je le ferai. Si l’endive devient moins rentable, j’arrêterai. Mais ce serait triste pour la filière et l’autonomie alimentaire tant clamée par les pouvoirs publics. »
Les surfaces emblavées sont est l’un des leviers mais il y a aussi le forçage. « Je sais que ma production dure 21 jours, selon la demande de la coopérative, chaque semaine, j’estime le nombre de racines à mettre en production. » Cet endivier reste également redevable de différents acteurs. En premier lieu, sa coopérative où il vend ses endives. Adhérente à la marque Perle du Nord, l’association a beaucoup travaillé sur le goût de l’endive et son packaging. Des animations commerciales sont souvent mises en place pour attirer le client.
Le collectif pour affronter les crises
Les emballages d’endives ont d’ailleurs été sur la sellette. La loi sur les emballages de moins d’1,5 kg concernait les endives. Or, ce légume fragile, qui demande un emballage spécifique, a réussi à être exempté de cette loi. Un souci en moins pour les endiviers.
Le collectif, une valeur encrée dans cette endiverie. Daniel Bouquillon fait partie des rares cuma équipées de matériel pour la production d’endives. Matériel de semis, de binage, d’arrachage, mais aussi de déterrage et de conservation en frigo des racines, sont mutualisés avec sept producteurs qui représentent moins d’une centaine d’hectares. « Sans la cuma, mon fils ne pourrait pas reprendre certes, mais je n’aurai pas pu faire face aux crises que nous avons vécu, reconnaît l’agriculteur aussi président de la cuma Endicourt. Il y a 20 ans, nous étions 3 000 endiviers, nous ne sommes plus que 150. Sans l’entraide et les charges de mécanisation diminuées, je ne produirais plus d’endives. »
Malgré tout, l’agriculteur croit en l’endive . « En 2024, nous aurons deux solutions de désherbage et de fongicide en moins, estime-t-il. Avec de plus en plus de difficultés à trouver des bras et des coûts de production en hausse, nous allons vers la décroissance verte. Mais on en a connu des difficultés et l’agriculture a toujours relevé les challenges, mais il faut reconnaître qu’ils sont de plus en plus grands. On a perdu le charbon, ne perdons pas le chicon ! », s’amuse-t-il a répéter.
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