« C’est un peu contre-intuitif de se dire que la Seine-Saint-Denis est sur le Salon international de l’agriculture » qui a ouvert samedi à Paris, reconnait Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental. Bien avant d’être l’un des trois départements les plus densément peuplés de France, c’était « le grenier de Paris, avec des terres maraîchères et fertiles », aime-t-il à rappeler, convoquant « un passé révolu ».
Ce territoire urbanisé et en mutation (Grand Paris, Jeux olympiques de 2024) entend faire de l’agriculture un nouvel atout, à l’heure où les préoccupations écologiques gagnent du terrain dans les urnes. Brasseurs, apiculteurs, maraîchers: des initiatives hétéroclites, partisanes des circuits courts, sont sorties du béton.
A La Courneuve, dix containers connectés composent une ferme urbaine inaugurée en février, dédiée à la culture verticale de fraises, d’herbes aromatiques et de salades. A Romainville, la Cité maraîchère doit ouvrir cette année ses deux tours qui accueilleront sur plusieurs niveaux la production de fruits et légumes, ainsi qu’un lieu de restauration. Le conseil départemental a répertorié plus de 300 lieux dont 122 en maraîchage (un chiffre évolutif) regroupés sous sa bannière territoriale « Made in Seine-Saint-Denis ».
Investissement à long terme
L’agriculture urbaine reste en cours de structuration, à la recherche d’un modèle viable. Impossible de répondre aux mêmes logiques que l’agriculture intensive des vastes plaines céréalières, soutenue par la PAC. L’existence de nombreuses activités demeure conditionnée au soutien des pouvoirs publics, surtout pour la problématique majeure des néo-agriculteurs, l’accès au foncier.
« C’est un investissement pour une commune: à court terme, elle tire une croix sur des projets immobiliers, mais à long terme, c’est un gain d’attractivité », assure Julien Besnard, responsable des fermes urbaines de la coopérative d’insertion Novaedia. Elle a installé son espace de production et restauration à Stains, en signant un bail avec la ville.
Sur L’Île-Saint-Denis, le département a déboursé 1,5 million d’euros en 2018 pour acquérir une friche industrielle de 3,6 hectares, que l’association Halage est en train de transformer pour la rendre cultivable. « Il y a clairement des élus volontaires » car « on ne peut pas faire de grands discours sur le changement climatique et continuer l’urbanisme des villes sans limite », souligne M. Troussel. A l’échelle régionale, l’Île-de-France accompagne les acteurs installés via un « pacte agricole » prévoyant l’investissement de 150 millions d’euros d’ici 2022 dans le secteur.
Bergers urbains
Certains choisissent d’emprunter des chemins de traverse comme les Bergers urbains, éleveurs de moutons en ville. Divisées en deux troupeaux, leurs 70 bêtes paissent actuellement près du périphérique à Aubervilliers et dans le parc départemental de La Courneuve. Leur credo: « Une agriculture qui puisse vivre autrement que par la subvention », explique Guillaume Leterrier, l’un des deux initiateurs du projet. Ils réussissent à tirer l’équivalent d’un Smic chacun grâce à de faibles coûts, des partenariats et des produits à valeur ajoutée.
A ses yeux, il reste en Seine-Saint-Denis « des espaces disponibles » pour réintroduire la nature, à condition que les terrains ou infrastructures soient « mis à disposition » pour diminuer les investissements initiaux. L’abandon en novembre 2019 par l’Etat d’Europacity, projet de mégacomplexe dans le département voisin du Val-d’Oise, s’inscrit aussi dans la réflexion sur l’avenir du foncier rural face à l’artificialisation des terres. En Seine-Saint-Denis, où le taux de chômage atteint 11% (au troisième trimestre 2019), les vocations de l’agriculture urbaine sont à la fois économiques, environnementales et sociales. Et selon Guillaume Leterrier, « elle permet de redécouvrir le territoire et de retrouver aussi peut-être d’autres valeurs ».