« On a des gens qui restent deux mois et qui repartent. A un moment donné, il s’agit pour nous de leur donner envie de rester dans l’entreprise »: Anne-Sophie Tyli-Robin, directrice générale de Bouchers Services (B&S), basée à Rennes (1.300 salariés) reconnaît que si la boucherie veut recruter, le secteur doit changer de méthode.
A la tête d’une entreprise de sous-traitance industrielle spécialisée dans la découpe de viande, cette patronne de 33 ans a eu l’idée il y a quelques mois de faire appel à la réalité virtuelle pour « former des bouchers dans un bureau », avec un casque connecté à deux manettes: ces applications existent déjà dans le secteur de la santé et le BTP.
Le futur boucher apprend les gestes du métier en travaillant sur des pièces de viande modélisées en 3D, et à dépasser les a priori qu’il peut avoir sur la profession, parce que « la viande n’a pas forcément de bonne image », souligne Mme Tyli-Robin.
L’AFP a pu tester cet outil qui permet de visiter un atelier et au candidat d’interagir dans un environnement à 360° où des bouchers se préparent à leur prise de poste et travaillent sur des pièces défilant sur une chaîne.
La France compte près de 18.000 artisans bouchers-charcutiers, selon la Confédération française de la boucherie, charcuterie, traiteurs (CFBCT), et 4.500 bouchers travaillent dans la prestation industrielle.
Plus de 4.000 emplois sont à pourvoir chaque année dans la filière élevage et viande, selon l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev).
« Un choix de vie »
Le secteur recrute mais le métier peine à attirer. Dans l’industrie « devenir boucher est un choix de vie », notamment à cause du travail posté qui demande « une bonne hygiène de vie », note Mme Tyli-Robin. Créée il y a 40 ans, B&S a lancé en 2018 une campagne de recrutement et embauché 320 personnes dont 125 ont été formées en interne: 80% étaient des hommes, 20% des femmes, âgés de 18 à 55 ans.
Selon Anne-Marie Boullier, secrétaire générale de la Cooperl, le poids lourd de la production porcine avec 2.700 éleveurs-adhérents, « l’une des explications est peut-être à rechercher dans la politique historique d’éducation de la France ».
Celle-ci « a privilégié la réussite au bac général au détriment de filières professionnelles. Le problème est le même pour les boulangers ou les plombiers », souligne Mme Boullier.
Un « phénomène de perte d’attractivité (…) sans doute amplifié par les crises de la vache folle en 1996 puis 2001 et l’évolution plus récente des modes de consommation, et les attaques un peu tous azimuts sur la consommation de produits carnés », initiées par les mouvements vegan et antispéciste, estime cette responsable.
Le passage de témoin semble plus facile dans la boucherie artisanale où la profession donne « le sentiment d’appartenir à une grande famille ». Néanmoins elle « a du mal à dépasser cette image du boucher avec le tablier plein de sang », souligne Claude Authierens, président de l’École professionnelle de boucherie (EPB) de Paris et meilleur ouvrier de France 2000.
Dans cette école qui forme chaque année par l’apprentissage 350 à 400 bouchers, du CAP au brevet professionnel, il y a « de plus en plus de retours de fils de patron qui reprennent la succession du père. Des bouchers sur une, deux, trois générations », selon Thomas Weisz directeur général de l’école.
Depuis deux ans, l’EPB observe néanmoins une « baisse régulière » des demandes de formation, mais il est « encore trop tôt pour l’analyser », selon M. Weisz.
Pourtant « c’est un métier très complet: le boucher va à Rungis faire son choix de matière première. Il fait la vente, il a le contact du consommateur, la gestion, fait une étude de rendement. Il y a peu de métiers qui permettent rapidement de mettre le pied à l’étrier, d’évoluer, de créer », souligne M. Authierens vantant l’attractivité de salaires qui peuvent vite monter à 2.000 euros, selon la qualification et l’expérience. « Les bouchers gagnent bien leur vie, mais il faut donner de soi-même. »