Bien qu’il occupe depuis près de 18 ans la tête du groupe familial dont il a fait le numéro un mondial du lait, Emmanuel Besnier reste un inconnu. Inconnu du grand public comme de ses 75000 salariés dans 85 pays, dont 15000 en France, ou encore des milliers de producteurs qui alimentent au quotidien cette gigantesque machine.
« Son grand-père (qui a fondé l’entreprise en 1933, ndlr) allait dans chaque ferme, connaissait chaque producteur. Lui, personne ne le voit jamais! Moi, en vingt ans de responsabilité agricole dans le département, je ne l’ai jamais rencontré« , s’étonne Philippe Jéhan, président du syndicat agricole FDSEA de Mayenne, le berceau de Lactalis dont le siège est à Laval.
« J’ai fait le tour de ses anciens camarades d’école ou de lycée. Tous disent la même chose: il était très réservé et il l’est resté. C’est sa personnalité intime », considère le responsable agricole. « Le fait d’être propulsé à 29 ans à la tête du groupe après la mort brutale de son père a certainement conforté ce trait de caractère, » estime-t-il.
Président du Space, le grand salon de l’élevage de Rennes, Marcel Denieul, engagé de longue date au plan national dans la représentation des producteurs, livre le lait de son exploitation à Lactalis mais n’a « jamais rencontré » M. Besnier.
Et même l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, rappelle régulièrement qu’en cinq ans de mandat, il ne l’a jamais vu.
« Il est dans la tradition de son père, c’est à dire, « on ne communique pas, on conduit sa barque « , analyse l’ancien ministre Jean Arthuis (Alliance centriste), qui, dans le cadre de ses mandats d’élu en Mayenne, a, lui, rencontré ce PDG atypique.
Né en 1970, Emmanuel Besnier, l’une des vingt premières fortunes de France selon Challenges, vivait encore il y a quelques années dans une commune proche de la préfecture de la Mayenne, à Entrammes, où sa famille dispose d’un château dans la forêt. Mais désormais « toute la famille a déménagé à Paris », indique un journaliste local.
Cet homme de haute taille, aux yeux clairs derrière ses verres de lunettes, n’apparaît guère dans la vie publique, et jamais dans les médias.
« Rester discret »
« Il cultive à l’évidence la discrétion. Localement, ce n’est pas quelqu’un qui prend position. Il n’est absolument pas dans les organisations patronales », relève Guillaume Garot, maire de Laval de 2008 à 2014, et ancien ministre délégué chargé de l’agro-alimentaire.
« A chaque fois que je l’ai rencontré, ça a toujours été en lien avec son entreprise (…) C’est quelqu’un de très concentré sur ses dossiers. Avec une équipe très soudée de cadres. Il dirige son entreprise, c’est tout », note M. Garot.
Et d’ajouter: « Lui, il a une vision d’entreprise de niveau mondial (…). Il considère que le monde est dur, que la compétition est dure, que la France doit s’adapter et que son entreprise doit être au niveau ».
« Il faut peut-être saluer celui qui résiste aux emportements médiatiques de l’époque, » considère Jean Arthuis. « Il y a un vieil adage mayennais qui dit: « le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit », tente-t-il en guise d’explication.
Les rares photos dans les médias d’Emmanuel Besnier datent au moins d’il y a une dizaine d’années. « Rester discret peut être un choix de vie (…) La notoriété implique un mode de vie plus contraignant et on a le droit de ne pas avoir envie de ça », estime M. Denieul.
« Le jour où il y a eu la décision de faire du groupe Besnier le groupe Lactalis, c’était aussi une volonté de protéger la famille », explique le responsable agricole.
Il y a quand même un centre d’intérêt autre que Lactalis dans la vie d’Emmanuel Besnier: le football. Mais quand le PDG du groupe assiste aux matchs, il le fait… derrière une vitre teintée. Et il arrive dans sa loge après le début du match et en part avant la fin.