Le vivier des salariés issus du monde agricole et des agriculteurs en devenir se réduit comme peau de chagrin. C’est pourtant celui dans lequel la plupart des cuma recrutent leurs propres salariés.
Ou plutôt “recrutaient’? Car les candidats deviennent difficiles à trouver, même si les offres d’embauche décollent.
Face à ce qu’aujourd’hui les employeurs commencent à appeler “une pénurie de candidats”, les experts, tels Naïma Hoërner du Cabinet DCH Conseil et Formation*, appellent les cuma à s’ouvrir à d’autres profils de candidats.
C’est ce qu’a fait la cuma tarnaise de Tonnac, dont les responsables et le salarié ont témoigné lors de l’Assemblée générale de la fdcuma du Tarn.
Le salarié est aujourd’hui embauché dans le cadre de l’activité “Groupement d’employeurs” de la cuma et mis à disposition sur trois exploitations: l’une de maraîchage, l’autre en ovin lait et la troisième en bovin viande.
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“J’ai trente-trois ans, a indiqué Philippe, devant une assemblée attentive. “J’ai, à la base, fait une formation d’ébéniste et de monture sur bronze, puis travaillé pendant une dizaine d’année en ébénisterie, monture et en menuiserie”
“ Au bout d’un moment, s’est posée la question pour moi de continuer ou changer. J’ai eu différentes raisons de changer de métier, et je me me suis intéressé à l’agriculture. Fallait il faire une formation? Puis ma femme a trouvé l’annonce de la cuma par hasard sur LeBonCoin. J’ai appelé et rencontré trois adhérents qui m’ont chacun exposé leurs besoins. Sur trois exploitations vraiment différentes.”
Les trois productions nécessitent une formation intensive, a-t-il reconnu, “une phase dans laquelle je me trouve encore”, a-t-il ajouté. “J’apprécie beaucoup le temps que les agriculteurs consacrent à cela, et le fait qu’ils mettent l’accent sur la sécurité. Quand on n’a jamais conduit un tracteur, on ne se rend pas forcément compte des risques que l’on prend, ou même lorsque l’on travaille avec des bêtes.”
Des employeurs en confiance
Si, au départ, les adhérents à l’activité Groupement d’employeurs de la cuma envisageaient une embauche à temps complet sur 8 mois de l’année, ils viennent d’embaucher Philippe en CDI à temps complet. Comme souvent dans le cadre d’une première embauche en cuma, les besoins se sont avérés rapidement supérieurs aux engagements. “On n’y prend goût’, résumait en souriant Eric, l’un des trois adhérents au Groupement d’employeurs. “Et aujourd’hui, je n’arrive pas à l’avoir à chaque fois où je le souhaiterais!”
C’est Gilles, adhérent en maraîchage, qui avait a priori le plus besoin de main d’oeuvre au quotidien. “J’ai des salariés en maraîchage depuis des années. Le but c’était d’arriver à pérenniser un emploi: jusqu’à présent, j’ai formé les salariés pendant un an, et ils partaient généralement au bout de la 2e ou 3e année. Quand j’ai entendu la proposition de la cuma d’intégrer un salarié, mis à disposition sur les exploitations, j’étais d’accord. Cela m’a permis de partir en vacances, d’avoir quelqu’un qui gère pendant ce temps-là les marchés, les commandes, l’arrosage sur les serres. On est partis confiants.”
Pour Jean-Paul, en élevage ovin lait avec son épouse: “Nous avions besoin d’un salarié pour partir en vacances, et quand on a des réunions avec la laiterie. Philippe nous a remplacés. Cela nous permet d’arriver à faire les choses. Nous ne cherchons pas à être plus rentable, ce n’est pas ce qu’il faut chercher en premier lieu d’ailleurs. Hier, par exemple, nous n’aurions pas pu aller à la réunion de la laiterie, si Philippe n’avait pas été là pour donner à manger aux brebis et traire. Sinon c’était la course. On mise beaucoup sur la confiance. On part la tête reposée.”
Amélioration des conditions de travail pour tous
Au-delà du remplacement en tant que tel, Jean-Paul évoque, en recevant une personne extérieure sur l’exploitation, une remise en perspectives de ses conditions de travail: “La formation de Philippe, ce n’est pas du temps perdu. Cela nous permet aussi de nous remettre en question, sur ce que nous acceptons. Nous tolérons des choses qui ne sont en fait pas tolérables, des manières de travailler, la pénibilité… On est assez seuls sur nos exploitations, ça permet d’avoir un point de vue extérieur.”
“On avait besoin d’un coup de main, et d’avoir une personne de confiance. J’ai eu des accidents du travail, par exemple, je suis tombé d’un hangar et bout de 8 jours, il a fallu faire du tracteur avec des côtes cassées. Philippe, c’est notre assurance par rapport à ça: si on a un pépin, il connaît l’exploitation, les bêtes, notre travail…”
“Nous, on n’a jamais embauché personne. La cuma, ça nous a permis de nous lancer, et ça nous a donné le courage d’embaucher quelqu’un à nous tous.”
Emploi: les cuma ont des arguments
Philippe, le salarié, est revenu en fin d’intervention sur deux aspects centraux selon lui:
“Je trouve que ce qui fonctionne très bien, c’est l’entente entre mes trois patrons, cela permet une bonne flexibilité. C’est très important parce que je ne suis pas pris entre deux feux, entre deux patrons qui auraient tous les deux besoin de moi, et ne seraient pas prêts à faire des concessions”.
“Un aspect que j’ai abordé lors de l’entretien d’embauche: mon précédent emploi me laissait peu de place pour ma vie de famille. Je suis marié, j’ai un petit garçon qui a trois ans et demi. Mes patrons actuels me considèrent comme un ouvrier, mais aussi comme une personne à part entière, avec tout ce qui va autour après le travail. Ce n’est pas quelquechose que l’on retrouve dans tous les milieux professionnels.”
*Naïma Hoërner, du Cabinet DCH Conseil et Formation, a réalisé une diagnostic RH (Ressources Humaines) sur 6 cuma de Nouvelle-Aquitaine