« Et voilà, je me suis encore coupé le doigt », râle Robert en se redressant. Immédiatement, Cédric se précipite pour lui appliquer un pansement, sans oublier de l’asticoter sur ses « deux mains gauches ».
Scène banale en période de vendanges, mais tous les coupeurs ici savent que Robert et ses deux co-détenus dormiront ce soir à la maison d’arrêt d’Auxerre, où les conduira leur surveillant Cédric dans une voiture banalisée.
Comme trois autres détenues de la prison de Joux-la-Ville également chaperonnées par une surveillante, ils ont postulé à un programme d’aménagement de peine de la direction interrégionale des services pénitentiaires qui leur offre une première étape vers la réinsertion.
La tâche est ardue, et la dégradation de la météo n’arrange rien. Mais les bénéficiaires du programme, inédit dans la région, sont aux anges. Au grand air, ils oublient la détention et renouent quoique brièvement avec la « vraie vie ».
« C’est physique! Quand c’est sec, on peut poser un genou, mais là, on est obligé de plier le dos et on le sent. Il faut serrer les dents », explique l’Ardéchois Robert, 59 ans. Libérable en avril 2020, il s’est lancé dans l’expérience avec l’espoir de faciliter sa sortie sous bracelet électronique dès novembre.
« J’ai fait une erreur, je la paye, c’est normal. Mais plus vite je serai dehors, mieux ce sera. Ce programme est un bon moyen de prouver qu’on peut se réinsérer et qu’on n’est pas des têtes brûlées », lance-t-il, enthousiaste.
Smic horaire
Le viticulteur d’Irancy Christophe Ferrari a adhéré au projet par volonté d’aider « ceux qui en ont besoin malgré leur passé ». Et il en dresse déjà un « bilan plus que satisfaisant ».
« On va les quitter avec un petit pincement au coeur, c’était vraiment très intéressant pour tout le monde », explique-t-il au terme de 10 jours de travail riches de rencontres, instants de complicité et repas partagés.
Pourtant, tout le monde reconnaît des réserves initiales de part et d’autre.
« C’était un peu curieux (pour les autres) au départ, mais on leur a dit pourquoi on était en prison, et en fin de compte l’accueil a été très positif », explique Robert.
« Au début, on appréhendait le regard des gens, on était un peu à l’écart, mais petit à petit on s’est bien mélangé », abonde Paula, Guyanaise de 29 ans, heureuse de cette respiration alors qu’elle est totalement coupée de sa famille depuis 18 mois.
« On n’a pas envie de rentrer le soir, quand on arrive en détention (…), on a déjà envie d’être le lendemain. J’ai été vraiment contente quand on m’a dit que j’étais prise », poursuit-elle. D’autant que ce travail, rémunéré au SMIC horaire, est bien plus avantageux qu’un emploi classique en atelier carcéral.
Robert est surtout « heureux d’avoir pu profiter de la nature, de ne plus voir les barbelés et d’avoir d’autres discussions avec les gens que de parler de prison. »
Sélectionnés par les Conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) en fonction de leur parcours, de leur comportement en détention, mais aussi de la proximité d’une possible libération – indispensable pour ne pas casser la dynamique -, les candidats jugés éligibles ont dû déposer en personne une demande d’aménagement de peine et se présenter à un entretien avec les viticulteurs.
« L’objectif est de fournir un projet de réinsertion, mais aussi de leur redonner un rythme horaire, leur permettre de s’intégrer et de reprendre confiance en eux », détaille le surveillant Cédric Labigne, 40 ans, qui dresse aussi un « bilan très satisfaisant ».
Autre succès: personne n’a eu l’idée de se faire la belle. Pourtant la surveillance s’est nettement relâchée à mesure que la confiance s’installait, avoue Cédric.
Robert assure que tous étaient bien conscients qu’il était important que cela se passe bien. « Pour que d’autres puisse faire comme nous ».