Du côté des cessions, la Safer veille au grain. Pour la relation bailleur-preneur, c’est le statut du fermage, d’ordre public, qui régit les relations. Bien qu’interdit, le fait de monnayer le droit au bail est courant dans le Nord de la France. Et les prix de ce marché « dissimulé » ont bondi ces dernières années. Une pratique dénoncée par l’Association Terres de lien qui milite pour l’installation des néoruraux.
Elaboré aux sorties de la seconde guerre mondiale, le bail rural avait pour objectif l’exploitation pérenne du fonds rural et la protection du fermier vis-à-vis du propriétaire. Aujourd’hui, le faire-valoir indirect (le fait de louer son foncier pour l’exploitation agricole) représente 61% de la surface agricole utile française. En Nord/Pas-de-Calais et en Ile-de-France, ce sont respectivement 80% et 72% des surfaces qui sont prises à bail. En opposition, le faire valoir direct, fait d’exploiter son propre foncier, est davantage présent au sud de la Loire.
Le code rural encadre strictement le statut du fermage et s’impose (statut d‘ordre public) à toutes relations bailleurs-preneurs dès lors que du foncier ou des bâtiments agricoles sont en jeu.
Sortir du tabou
En théorie, toute cession du bail rural est interdite en dehors d’un cadre familial et gratuit. Hors, dans le nord de la France, les « pas de porte », fait de monnayer le droit au bail, sont une pratique courante. « Un monnayage interdit par la loi », rappelle Samuel Pinaud, chercheur à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales Univers (IRISSO) de Paris.
Lors du Salon de l’Agriculture Porte de Versailles à Paris, l’association Terre de Liens qui milite pour le portage de foncier en faveur d’une agriculture biologique et locale organisait un rendez-vous sur le thème des « pas de porte », pointé comme un obstacle à l’installation et à la pérennité des fermes.
8300 € par hectare
« Sur l’ensemble de la SAU Nord/Pas-de-Calais et Ile-de-France, seuls 5,7% sont échangés par an et 85% le sont par changement de locataire », avance Samuel Pinaud. Quant au prix, il aurait explosé sur ces quinze dernières années pour passer de 700€/ha en 2000 à 8300€/ha en 2014. Les chercheurs ont dégagé ces prix en calculant la différence entre le prix des terres libres et le prix des terres louées.
Mais au-delà de ce prix estimé, l’étude réalisée pour Terre de Liens dégage trois tendances et un montant du pas de porte calculé en fonction de la « distance sociale ».
Dans le cercle familial, où le « capital de confiance » est important avec un risque de procès affaibli, le pas de porte varie de 3000 à 6000€ l’hectare. Pour le second cercle (agriculteurs voisins), le pas de porte évolue à la hausse en fonction des fonds disponibles et de la valeur de reprenabilité, et va de 6000 € à 9000€/ha. Enfin, pour le troisième cercle (hors cadre accompagné par Terre de Liens) « il y a l’idée de valoriser un maximum les pas de porte et les prix peuvent grimper à 17000€/ha », remarque Samuel Pinaud.
Palier les petites retraites agricoles
La pratique n’est pas nouvelle. Elle permet au cédant de capitaliser sur des années de travail et de compenser faible montant des retraites agricoles. Elle se dissimule dans le montant global des reprises et peut même être financée par les banques.
Mais pour le repreneur, elle peut aussi être synonyme d’endettement. « Le financement et l’investissement générés par le montant des pas de porte concernent ¼ des dossiers d’agriculteurs en difficulté en Nord/Pas-de-Calais », indique Elisabeth Saint-Guily, qui travaille sur la résilience de ces agriculteurs avec Solidarité Paysan.
Dans les régions où sont pratiquées les pas de porte, c’est « un marché libre » qui s’est mis en place. « Cela explique pourquoi il peut être plus cher que le prix de vente à l’hectare. Il n’y a aucune régulation », explique Samuel Pinaud. Pour autant, peu de solutions existent pour contrer le phénomène. Les procès en « répétition d’indus » n’ont jamais lieu. Le fisc, « censé qualifier la surévaluation, n’intervient jamais » et les méthodes utilisées par les organismes de conseil pour calculer le montant de la reprise permettent de cacher les pas de porte. Enfin, les outils tels que le bail cessible et le fonds agricoles, créés en 2006, n’ont pas convaincus les agriculteurs. Terre de Liens y voit de toute façon un encouragement à la dérégulation. « Les pas de porte ne devant pas être légitimés. »