Savoir que quelqu’un issu de nos rangs accède à cette responsabilité nous rend super contents, et même fiers… » Directeur de la frcuma Ouest, Gilles Picard savoure - presqu’autant que lui si c’était possible - le diplôme d’expert comptable que vient de conquérir David Boscher. Entré comme comptable à l’UD de la Manche, à Saint-Lô, il y a 19 ans, celui-ci va continuer à servir le réseau, mais désormais dans une autre posture. Le fruit d’une évolution engagée en 2004, quand les pouvoirs publics ont donné une pleine autonomie aux Centres de gestion agréés et habilités… sous réserve qu’ils aient en leur sein des experts comptables diplômés et inscrits à l’ordre de cette profession. « Un peu un choc culturel, à l’époque pour le monde des cuma, poursuit Gilles Picard, par essence à but non lucratif et non fiscalisées. »
N’empêche ! Il a fallu s’adapter, et lors de la création, en 2006, de l’AGC Ouest (12 départements) on a d’abord embauché un expert comptable venu d’ailleurs. Et, puis, en 2009, les effectifs progressant (il faut un expert pour 15 comptables), les élus ont décidé de susciter une vocation au sein du « sérail » cuma. « On a évidemment pensé à David », se souvient Christophe Perraud (Loire-Atlantique), alors président de l’AGC. « Sa formation initiale et son Descf lui ouvraient la voie. Et plusieurs d’entre nous avaient apprécié sa compétence et son implication. Nous n’avions aucun doute sur sa capacité à aller au bout. »
Nulle envie d’aller ailleurs
Pour l’intéressé, cela tombait à pic. « Au sein du réseau, je me sens plutôt bien et je n’avais nulle envie d’aller ailleurs. D’un autre côté, et comme ma formation m’y préparait, c’était un peu dommage de ne pas poursuivre jusqu’à l’expertise… Alors concilier les deux était presque inespéré. » Lui dont certains disent qu’« il n’a pas les dents qui rayent le parquet » a hésité un peu. Puis il a dit oui… s’engageant dans un gros boulot au long cours, avec des soirées et des week-ends souvent sacrifiés. « Puisqu’on me faisait confiance, je ne me voyais pas abandonner au milieu du gué. »
S’enchaînent, de 2010 à 2013, trois années entrecoupées de journées de cours, de rapports semestriels, et d’un stage de commissariat aux comptes. Sans oublier, bien sûr, l’examen final en 2014 et la rédaction puis la soutenance d’un mémoire nécessitant à lui seul au moins 500 h de travail. « Mais je ne les ai pas vues passer tant le sujet -l’accompagnement d’un groupe d’agriculteurs porteurs d’un projet d’atelier de transformation- me passionnait. » Au passage, David apprécie aussi ce temps de formation : « Aller voir à l’extérieur, c’est motivant. » Et puis, ce contact avec de futurs collègues, dont beaucoup exerceront en cabinet libéral, a renforcé chez lui « l’envie de cuma ! » «Au début, pour beaucoup d’entre eux, j’étais un peu l’exotique de service. Mais quand j’ai décrit la finalité d’une cuma et son fonctionnement, plus d’un m’a dit : ‘On devrait adopter plus souvent ce système et pas qu’en agriculture !’»
Envie de cuma
2015 restera donc pour David l’année de l’obtention officielle de son diplôme. Mais aussi celle d’un nécessaire changement de posture. « Il ne s’agit plus pour lui d’assurer une prestation de service comptable, ce qu’il faisait avec précision et une rigueur, presqu’à l’allemande, sourit Pierre Guyon, son aîné dans la fonction et son ex-maître de stage, au sein de l’Agc. Mais d’exercer un devoir de conseil dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. S’il n’a pas de pouvoir d’injonction, il a une obligation de conformité. Cela peut l’amener à faire des recommandations, y compris sur la gouvernance de telle ou telle cuma. » Au risque de paraître parfois « empêcheur de tourner en rond »… mais c’est ce que lui impose la déontologie de son nouveau statut… et l’intérêt bien compris des groupes dont il atteste les comptes.
L’intéressé le sait bien, qui avoue : « Je vais sans doute regretter ces repas à la table familiale du président ou du trésorier de cuma que je suivais depuis 1996… Je ferai moins de terrain, mais plus de conseil. » Et puis il aura, juridiquement, la capacité à s’emparer de ces projets un peu périphériques, conduits avec d’autres acteurs mais nés en cuma, comme le bois-énergie, le solaire, la méthanisation… Autour de lui, on ne doute pas qu’il saura, jour après jour, endosser ce nouveau costume. Sans renier de ce qui le fait apprécier des cumistes et de ses collègues. « Bien sûr, il y a d’abord chez lui de la rigueur, mais il sait aussi énormément écouter, ne pas s’emballer et expliquer posément les choses, en restant accessible… rapporte Sébastien Macé, administrateur en Basse-Normandie. Il en est de même avec ses collègues, dans sa capacité d’animation d’équipes. Il ne va jamais au clash… »
Moins de terrain, plus de conseil
Un côté consensuel donc : « Mais dont, désormais, il va lui falloir de temps en temps se départir pour obliger tel ou tel à bousculer un peu ses habitudes », avance, un peu taquin, Michel Lemonnier, le président de l’Agc. « Il y parviendra parce qu’il y a chez lui une grande intelligence des situations, et une bonne capacité à appréhender les motivations et les aspirations de ses interlocuteurs. » Alors, pour David, être expert comptable n’est pas une fin mais un nouveau départ…
Pour Etienne Fels, le directeur de la fédération normande qui le côtoie depuis 1996, « ses apports en méthodologie et coordination vont être plus marquants pour aider équipes et élus à professionnaliser encore l’exercice des responsabilités. Avec un atout déjà ancien : David, c’est un convaincu de l’intérêt du collectif et de l’action en cuma. » Une conviction qui ne faiblira sans doute pas de sitôt. Il ne va pas rester…. pensaient certains à l’arrivée de ce comptable à l’époque plutôt surqualifié pour le poste. Eh bien si, et pour un moment ! Un beau trajet pour celui dont le père, agriculteur, n’était pas en cuma…