Les adhérents de la cuma Arbolizac, dans le Tarn-et-Garonne, ont eu de la chance: ils ont reçu et mis en service huit tours antigel en prévention d’intempéries, pour protéger les vergers de pommes de 17 exploitations adhérentes. Elles les ont aidés à sauver une grande partie de leurs fruits trois jours plus tard, et ont été utilisées dans la foulée pendant les seize nuits de gel qui ont suivi, parfois dès minuit.
Un gel de plus en plus fréquent
La fréquence, l’intensité et la durée des épisodes de gel, à cette époque de l’année, constituent du «jamais vu», selon les anciens. «Sans ces tours antigel, les récoltes auraient été 40 à 50% moins élevées. Et, au niveau qualitatif, sur ce qui serait resté, nous aurions eu 15 à 20% de fruits destinés à l’industrie», détaille Stéphane Biargues, président de la cuma Arbolizac.
Stéphane Biargues estime que les tours ont été quasiment amorties sur la campagne. De marque RN7, distribuées par les établissements Chabas, elles ont été facturées 46.000€ l’unité. La cuma a bénéficié d’une subvention à hauteur de 40% de ce montant.
«Nous nous sommes interrogés sur les dispositifs d’aspersion, mais l’accès à l’eau peut être un souci pour certains d’entre nous», explique-t-il. Les adhérents ont finalement choisi ce modèle de tour (moteur Gemer), sans dispositif de chauffage complémentaire.
«Elles assèchent et brassent l’air. Nous les mettons en route à +1°C», précise le président. Le groupe s’est aussi appuyé sur l’expérience acquise autour du fonctionnement de tours antigel déjà mises en place sur le secteur via une ASA, il y a une vingtaine d’années.
Ailleurs en France, des groupes de viticulteurs ont aussi investi récemment dans des tours antigel. En particulier dans les zones où, comme en Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, les collectivités soutiennent fortement des investissements.
Mieux positionner les tours antigel
Au-delà des soutiens régionaux, le Plan de relance (mis en place suite à la crise sanitaire liée au Covid19) a créé un effet d’aubaine certain. Notamment les deux enveloppes dédiées à soutenir les investissements pour lutter contre les aléas climatiques. Typiquement, dans les cuma, les agriculteurs se sont réunis pour centraliser les demandes. La question centrale étant: «qui veut une tour antigel?» Elles se sont ensuite organisées pour répartir des équipements de manière à peu près équitable entre les parcelles des volontaires.
Une première approche pour protéger vergers et vignobles… dont les pionniers reviennent. Dans le vignoble des Vignobles, à Quincy (Cher), les adhérents de la cuma des Vignobles ont par exemple fait déplacer des tours pour mieux protéger leurs vignes, en les positionnant dans les arrivées d’air froid.
La cuma du Vignoble a en effet impulsé le projet de recherche Sictag, destiné à répondre à toutes les questions que se posent les adhérents de la cuma du vignoble de Quincy sur les tours antigel, avec notamment des mesures des températures des flux d’air.
Le périmètre d’action des tours varie, non seulement avec le modèle (mobile ou fixe), mais aussi avec le type, l’intensité et la durée de l’épisode de gel. Car le gel est un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît: il existe plusieurs types de gel qui peuvent se combiner.
Projet de recherche
L’équipe s’interroge aussi sur le fait qu’un maillage régulier de tours serait plus efficace que des tours isolées les unes des autres. Les dispositifs de chauffage posent eux aussi quantité de questions: comment voyagent les flux de chaleur? Sont-ils efficaces au vu des quantités de carburant/combustible nécessaires?
Quant au fonctionnement des tours antigel, il porte aussi son lot d’interrogations: à quel moment les déclencher? Est-il possible de piloter les tours de manière automatique, à distance ? Enfin, quels modèles permettent d’abaisser les nuisances sonores et paysagères?
«Au départ, dans ce type de projets, nous étions mis devant le fait accompli, une fois que les tours étaient implantées», témoignent Anthony Chambrin et Jean-François Méré, de la frcuma Centre-Val-de-Loire. «Aujourd’hui, nous intervenons de plus en plus en amont, la demande est territoriale, par exemple, à l’échelle des syndicats de vins.»
Une approche collective sur les tours antigel dans le Cognac
Approche collective également dans le Cognac, où officie Corinne Valladon, de la fédération des cuma des Charentes.
Elle a accompagné en 2019 la mise en place d’un parc de 79 tours antigel à la cuma Viti-Cognac. Elles ont été complétées par 14 autres en 2020, avec le soutien financier du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine.
Au total, la surface balayée par ces tours est de l’ordre de 600ha, exploités par une cinquantaine de viticulteurs. Ces investissements ont été rudement mis à l’épreuve en ce début de printemps, avec des températures plongeant à -3 °C, voire -5 °C dans le vignoble.
Les viticulteurs ont apprécié le système d’alarme automatique. Il permet de déclencher très rapidement la mise en route des tours. Il permet aussi d’en suivre le fonctionnement. Une partie de ces tours antigel sont mobiles. Les viticulteurs les positionnent avec des outils de cartographie numérique.
Selon les responsables, lors des périodes de gel, la disposition de chaufferettes dans les parcelles, fonctionnant aux pellets par exemple, génère un supplément d’efficacité par rapport à l’action seule d’une tour antigel. Ils ont aussi constaté que les tours, jumelées avec un ‘booster’ capable de produire puis propulser de la chaleur, atteignent de meilleures performances.
À noter: les tours font l’objet d’un contrat de maintenance négocié et organisé par la cuma, qui prévoit un dépannage 24h/24.
Achat de tours antigel: s’organiser pour y gagner
Le choix de s’organiser en cuma pour développer cette activité apparaît comme une décision judicieuse du point de vue économique pour négocier le meilleur rapport qualité/prix/SAV des tours au regard du cahier des charges rédigé par la cuma; mais aussi du point de vue de la représentation des viticulteurs vis-à-vis à des pouvoirs publics et des élus ou du point de vue technique pour acquérir, grâce aux échanges en commun, un véritable savoir-faire dans la maîtrise de ces outils.
La cuma Viti-Cognac a depuis décidé de lancer une troisième phase d’investissement.
Gelées noires, blanches et vent catabatique
Certains agriculteurs sont en capacité d’identifier quels endroits de leurs parcelles sont « à risques ». Mais tous les épisodes de gel ne se ressemblent pas: en fonction du type de refroidissement, des zones différentes peuvent être affectées. D’où l’importance d’analyser l’historique du gel et les phénomènes à l’œuvre sur un territoire plutôt que de raisonner ‘entre deux parcelles’.
On distingue plusieurs types de gelées. Les gelées blanches (radiatives): par temps calme et ciel clair, la chaleur emmagasinée par le sol le jour voyage vers les hautes couches de l’atmosphère entraînant une inversion thermique et une baisse des températures au sol. Les vents catabatiques : suite à une gelée blanche, l’air froid voyage le long des pentes et peut se retrouver ‘piégé’ par des microreliefs. Et les gelées noires (advectives): le vent transporte une masse d’air froid.
Bien sûr, ces phénomènes peuvent se combiner, aboutissant à des atteintes parfois sévères. Le projet Sictag, porté par la cuma des Vignobles à Quincy, permet à de nombreux partenaires – dont l’Inrae et la société Weather Measure – d’objectiver les phénomènes au niveau microlocal pour mieux positionner les tours et calibrer les investissements. D’ici un a deux ans, cette expérience devra permettre de tirer des conclusions transposables sur l’implantation des tours.
Et dans le Lot?
Les viticulteurs lotois ont eux aussi dû affronter des épisodes de gel sévères cette année. Aucune contre-indication à investir dans les tours antigel selon Louis-Henri Rossignol, animateur agroéquipement à la fdcuma46, si ce n’est la nécessité de raisonner collectif. «On voit bien que, là où les viticulteurs ont du recul, ils viennent d’une manière ou d’une autre à raisonner en groupe. Et pas seulement pour les financements!»
Les cuma ‘viti’ ont donc un boulevard pour porter l’achat et l’implantation de ce type de matériels… En espérant qu’ils servent le moins possible. D’autant plus que, les aléas climatiques augmentant en fréquence, les assurances devraient finir par conditionner les prises en charge à l’implantation de dispositifs de protection.
Le changement climatique… mais pas seulement
Les effets du changement climatique sont aujourd’hui difficiles à nier, et les épisodes de gel qui pouvaient intervenir fin avril arrivent désormais en pleine floraison/débourrement, quelques semaines avant. Mais c’est surtout l’intensité et la fréquence de ces phénomènes qui sont en hausse. Côté végétal, les chaleurs qui arrivent plus tôt dans l’année (février/mars) favorisent l’apparition précoce des bourgeons. Un phénomène amplifié par des tailles elles aussi effectuées très tôt.
Là, ce sont des facteurs d’organisation qui jouent: avec des surfaces de plus en plus grandes, et une main-d’œuvre restreinte, les viticulteurs doivent envisager d’allonger les périodes de taille pour garder le rythme, et donc commencer plus tôt.