Les cuma soutiennent la compétitivité des exploitations ?
Oui, les cuma permettent aux agriculteurs d’améliorer leur revenu et le travail. Déjà l’hiver dernier, nous tenions un grand colloque à l’Ouest sur la compétitivité permise par les cuma. C’est notre rôle : permettre aux exploitations d’être plus performantes et de mieux supporter une forte variabilité des prix agricoles. A ce titre, la maîtrise des charges de mécanisation est on ne peut plus importante. C’est un leitmotiv du réseau cuma depuis longtemps. Mais il reste beaucoup de choses à faire. Le machinisme, qui pesait déjà 30 à 40% des charges des exploitations de l’Ouest en 2007, occupe aujourd’hui plus de 45% dans les exploitations d’élevage. Voilà qui pose question sur les stratégies qui ont été mises en place dans les exploitations : il n’y a pas eu de dilution des charges de mécanisation dans les agrandissements des exploitations bovin viande ou laitières. Parmi les facteurs d’explication, il y a la substitution de la main-d’oeuvre par la machine, des seuils d’agrandissement qui font bondir le niveau d’investissement, sans oublier l’augmentation du prix des équipements.
Y a-t-il surinvestisssement en matériel dans les exploitations ?
A lui seul, le tracteur pèse un 1/3 des charges de mécanisation d’une exploitation. Nous avons beau nous battre là-dessus, essayer de faire prendre conscience de cet enjeu considérable, démontrer l’intérêt de la traction partagée en cuma…, le combat est difficile. Pourtant, il y a des sommes vraiment importantes à gagner. Mais l’enjeu dépasse l’économique, il reste un attrait culturel autour du tracteur. Et peut-être des sensibilités locales ou régionales. Les chiffres nous montrent que les Bretons seraient davantage «éleveurs» et délègueraient plus facilement la conduite, contrairement aux Vendéens par exemple, qui aiment conduire les tracteurs et délèguent plus volontiers la récolte. Pourtant, le gain est indéniable : baisser ses charges de traction de 20% fait gagner 2 à 3% de marge sur l’exploitation. Je pose aussi la question du système DFI – non accessible aux cuma – qui a servi d’outil de défiscalisation : en quoi ça a servi la compétitivité de l’agriculture ?
Un travail allégé grâce à la cuma ?
Un éleveur qui délègue totalement tous les gros travaux (labour, semis…) à une cuma tracteur avec chauffeur, sera dans la moyenne des coûts de mécanisation… mais sans le travail à faire ! Le gain est énorme. Nous disposons de deux outils, dans le réseau cuma, pour mesurer les charges de mécanisation et les marges de progrès : mecagest et mecaflash. Les résultats sont édifiants. On constate des écarts énormes dans les exploitations, avec des charges de mécanisation allant de 228 à 448€/ha. Soit du simple au double. 200€ d’écart, c’est 20 000€ d’économie pour une exploitation de 100 ha.
L’augmentation de puissance des tracteurs est-elle justifiée ?
Les exploitations ont grandi, la puissance a suivi. Mais est-ce toujours dans les bonnes proportions ? Le réseau cuma se bat, non sur la puissance seule, mais sur la cohérence puissance du tracteur- outils utilisés. C’est ce qui doit guider les choix. Il faut aussi tenir compte du changement d’exigence des agriculteurs, qui veulent travailler dans des créneaux d’intervention plus courts. Par exemple, un chantier d’ensilage ne doit prendre que 3 semaines maximum, quand il s’étalait sur 1mois ½ auparavant. Pourquoi ? Pour aller à l’optimum du rendement, récolter à la meilleure date, pour coller aux exigences de l’aval et aux critères de paiement (ex : taux de protéines du blé). Quand une cuma ne peut faire face seule à cette exigence, il faut avoir le réflexe de se tourner vers les autres groupes. Le maillage des cuma, c’est-à-dire les échanges de machines, voire les achats en intercuma, permettent de faire tourner les automoteurs sur des territoires plus larges, avec des interventions ciblées sur des fenêtres météo plus courtes. Une opportunité à saisir pour ceux qui sont engagés dans les techniques culturales simplifiées. Exigences agronomiques, fenêtres météo plus courtes : partager du matériel performant sur des territoires plus larges, c’est une solution intéressante.
Les cuma : quel rôle en période de mutation profonde ?
Ce sont des lieux où les agriculteurs se parlent, peuvent rompre l’isolement, se poser des questions ensemble, échanger, partager des expériences, des échecs, des réussites et monter des projets en commun. Notre philosophie, c’est bien que l’action collective peut être performante, à l’échelle d’un petit territoire. Il faut toujours regarder vers l’avenir, les autres, le monde, être curieux et tester des innovations. En groupe, c’est plus facile, plus sécurisant. Répétons qu’avec la cuma, les agriculteurs peuvent s’adapter, améliorer leur revenu, le travail. Et cela, même si les projets divergent dans les exploitations. Que l’on travaille en bio ou en conventionnel, en circuit court ou long : on se retrouve souvent dans la même cuma. Il faut essayer de travailler ensemble, sans modèle unique. Les outils demandés par les uns finissent aussi par être adoptés par d’autres.
Quels matériels demandent les adhérents aujourd’hui ?
Aujourd’hui, ils sont plutôt demandeurs d’un service . Il n’y a pas que la machine. Ils demandent à la fois une machine performante, un chauffeur à qui déléguer le travail et un rapport qualité-prix intéressant. C’est cet ensemble que réclament les adhérents. Et il faut que les cuma s’y adaptent. Le réseau fédératif doit les aider à franchir cette étape. De nouveaux créneaux ont fait leur apparition, comme les énergies renouvelables, le bois, la méthanisation, la délégation d’une partie des travaux de l’élevage par le désilage en commun… Tout cela suppose des matériels nouveaux, sophistiqués, des chauffeurs salariés bien formés, car dans certains cas, la conduite pas les adhérents devient trop délicate.
Les jeunes vont-ils vers les cuma ?
On voit des jeunes agriculteurs venir, revenir vers les cuma. Y a-t-il l’effet de la crise ? En tous les cas, il en reste encore beaucoup à convaincre. Comment, aussi, accompagner les petites structures de maraîchage bio, en circuits cours – parfois des néo-ruraux – qui se développent ? Ils ont besoin de matériels spécifiques, de plus petite taille… Comment les accompagner ? Nous y travaillons, les cuma doivent s’adapter à de nouvelles demandes, de nouvelles techniques.
Quels sont les axes de progrès des cuma ?
Premier axe : la professionnalisation de leur groupe. Bientôt, la cuma moyenne de l’Ouest atteindra les 100 000 € de chiffre d’affaires. Les responsables de cuma doivent monter en compétence dans la gestion et la prise de décision. Second axe : la flexibilisation de l’offre proposée par les cuma. La demande des agriculteurs évolue vers plus de souplesse et une réactivité plus forte. Ils doivent en être capables sur leurs exploitations, du fait d’un contexte agricole devenu très fluctuant, ils exigent la même chose de leurs cuma. Elles doivent pouvoir répondre, c’est un véritable changement de culture. Troisième axe, le maillage des cuma entre elles : se parler, collaborer – voire fusionner – pour améliorer leur offre de service. Le réseau doit s’adapter pour travailler dans le sens de ces trois axes. Un expert machinisme, ce n’est plus tant cela dont les cuma ont besoin, mais d’experts autour de l’emploi, de la gestion et de la stratégie d’entreprise.
Comment la crise impacte les cuma ?
Deux choses remontent : d’un côté, la problématique des impayés qui monte dans les cuma. Et aussi un regain d’intérêt pour l’investissement partagé, des demandes d‘investissements en cuma (dans certains secteurs, il n’y a plus que les cuma qui achètent du matériel), des demandes pour construire des projets collectifs. Souhaitons que ce ne soit pas un effet de mode lié à la crise.
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Ouest* : plus de 50% des agriculteurs en cuma •Cuma Grand Ouest : 2 613 groupes •Adhérents : 54 400 •Chiffre d’affaires (2014) : 227 millions €, en augmentation •Investissements : 151 millions €, en augmentation •973 salariés permanents (+ de 4% entre 2014 et 2015) *Ouest : Bretagne, Pays de la Loire, Normandie (Haute et Basse). |