Cuma du petit Plateau : l’agriculture solidaire des hautes terres de l’Aude

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Cuma du petit Plateau : l’agriculture solidaire des hautes terres de l’Aude

L'équipe de la cuma du Petit Plateau.

La cuma du Petit Plateau, réanimée en 2015, n'en finit pas de faire des projets. Racontée simplement par l'équipe, sa réalité, dans les Pyrénées audoises, vaut le détour.

L’Aude est décidément un département à géographie variable. Loin du vin des Corbières, du cassoulet de Castelnaudary, des salines et des cabanes de pêcheurs de Gruissan, on peut y trouver les pommes de terre d’altitude du Petit Plateau du Pays de Sault, réputées pour leurs qualités gustatives et de conservation.Dans l’un des départements les plus pauvres de France, les crises agricoles ont des conséquences directes sur ce Petit Plateau, situé aux confins des départements de l’Ariège et des Pyrénées-Orientales. Découvrez l’histoire et le fonctionnement de la cuma du Petit Plateau.

Broutards et patates sur le Petit Plateau

Auparavant isolé l’hiver, le plateau oscille entre 1 000 et 1 100 m d’altitude. Les exploitations y produisent depuis longtemps, en conditions extensives, des broutards sur pied, destinés à l’exportation.

Le Petit Plateau du pays de Sault, en décembre 2024.

« La crise de la vache folle nous a conduit à réfléchir à diversifier nos productions », relate Margot Morisot, éleveuse de Black Angus et brasseuse, mais aussi trésorière de la cuma du Petit Plateau.

« Chaque ferme produisait, pour sa propre subsistance, des légumes, dont des pommes de terre réputées. Avec l’appui de la chambre d’agriculture de l’Aude. Très tôt, vers 2007, la production de pommes de terre, en coopérative, appuyée sur une marque déposée, s’est développée. »

La coopérative des pommes de terre du pays de Sault, à Espezel dans l’Aude.

Autre crise, autre prise de conscience. Lors des confinements liés à l’épidémie de Covid-19, les habitants de pans entiers de l’Aude, isolés, ont de grosses difficultés à s’approvisionner en nourriture. « Les bassins de production sont particulièrement éloignés des centres de consommation dans l’Aude », résume Margot Morisot.

Renaissance dela cuma du Petit Plateau

La cuma reflète fidèlement la vie des agriculteurs de ce secteur, et leurs projets. Créée en 1979 autour de l’ensilage et de la moisson, elle s’est éteinte progressivement au fil d’une phase d’exode rural dans les années 1990.

« Les exploitations sur le Petit Plateau sont moins rentables que celles du Grand Plateau, les conditions y sont plus dures », note Margot Morisot, qui sans être fille d’agriculteurs, a vécu dans le village voisin de Galinagues depuis ses 6 ans. Quelques néoruraux s’installent, mais dans des systèmes sans mécanisation.

Vers 2010, une deuxième vague d’installation anime le secteur. Cette fois, il s’agit de projets d’agriculture de montagne certes, mais économiquement construits, nécessitant davantage de mécanisation.

D’emblée, un tracteur de tête

La cuma du petit Plateau renaît en 2015 : les nouveaux adhérents investissent directement dans un tracteur et un épandeur.

 

L’équipe de la cuma du Petit Plateau.

S’ensuivent des investissements dans des matériels de travail du sol, un broyeur, et une section maraîchage émerge. « Sur cette branche, c’est ‘clé en main' », assure Margot Morisot. On pourrait dire « sur un plateau », avec des matériels pour planter, désherber, récolter, un tracteur maraîcher, mais aussi des matériels pour laver et trier les légumes.

« Notre objectif, pour de nouveaux installés ou des agriculteurs qui diversifient leur activité, est de pouvoir fournir des coûts de mécanisation complets », détaille-t-elle.

Distribution de fruits et légumes à la cuma du Petit Plateau

Le groupe compte aujourd’hui 22 adhérents, avec une moyenne d’âge inférieure à 40 ans. Margot Morisot et le président, Luigi Mathieu, poussent les projets : « Nous avons créé une association pour la distribution des fruits et légumes dans la Haute Vallée de l’Aude. Embauché un premier salarié en janvier 2024, puis un deuxième dans l’année, en groupement d’employeurs. Tous deux travaillaient déjà dans les exploitations. Nous avons consolidé leur activité et simplifié la gestion pour les adhérents, qui peuvent compter sur eux lors des pics d’activité, pour prendre des vacances, ou en cas de coup dur. C’est vraiment une grande charge mentale en moins ! »

cuma Petit Plateau

Romain et Souleymane, salariés de la cuma du Petit Plateau (Aude), devant le tracteur de 140CV prêté par AgriVision. Le tracteur de la cuma, d’une puissance de 120CV, est en révision ce jour-là.

Sans hangar, matériels et salariés sont accueillis sur la ferme collective du président. Luigi Mathieu fait en effet partie d’un groupe d’agriculteurs qui s’est installé sur une ferme reprise par Terre de Liens, à laquelle la cuma compte louer des espaces pour stocker les matériels. Mais aussi un magasin de producteurs. « C’est un futur chantier, souffle Margot Morisot. Mais parfois, les autres adhérents nous demandent de ralentir. »

Audace et prudence à la cuma du Petit Plateau

Président et trésorière s’accordent sur une priorité numéro 1, qui permettra sans doute de « dérouler » les autres projets. « Nous avons besoin d’aide sur l’administratif. Nous sommes en train de réfléchir à l’embauche d’une secrétaire à temps partiel. Cela serait très utile, pour les salariés, mais aussi dans la perspective du magasin. »

La petite équipe, pour volontaire qu’elle soit, ne prend pas de risque. « Il serait logique d’envisager cette embauche en intercuma. Nous savons que nos homologues des cuma voisines de Brenac et de Puivert ont des salariés, et font remonter exactement le même type de besoin. »

Même prudence dans la gestion de l’association de distribution des fruits et légumes, désormais dissoute, qui devait aider à mettre en relation producteurs et opérateurs de la restauration collective. « Le besoin est là. Il existe, comme en Ariège, des plateformes logistiques qui fonctionnent très bien. Mais dans l’Aude, nous nous sommes heurtés à la question du travail dans les cantines. Les chefs en restauration collective travaillent uniquement de la quatrième gamme : des produits déjà lavés, transformés, sous vide. Au-delà des questions sur la logistique liée aux quantités, nous n’avons pas les moyens d’investir dans une légumerie. On ne peut pas demander à des agriculteurs bénévoles de tout faire. Dans ce cas, il s’agit d’une question de volonté politique », analyse Margot Morisot.

« Au bord »

La question du bénévolat rejoint d’ailleurs celle du travail administratif : « Pour embaucher un ou une secrétaire, même à temps partiel, il va falloir s’interroger sur le paiement de cette prestation, le répartir par matériel et activité. Car jusqu’à présent, ce travail est fourni à titre gracieux », relève la trésorière. La question de la rémunération du travail est ici, comme dans l’ensemble des exploitations françaises, au cœur des décisions. Les exploitations, sur le Petit Plateau du Pays de Sault, sont-elles rentables ?

« En moyenne, elles dépendent à 80 % des aides de la Politique agricole commune », tranche Jérémie Vandermosten, maraîcher de plein champs sur 9 ha, et adhérent. « Notre système, aujourd’hui, dans une perspective capitaliste, est perçu comme ‘folklorique’. On repose sur l’Indice de compensation de handicap naturel (ICHN) et sur des appellations protégées. On est ‘au bord’, même si on travaille énormément, même si on prend très peu, voire pas, de vacances. Même si on travaille en permanence à optimiser nos charges et augmenter notre efficacité, comme c’est le cas avec la cuma. »

Max Lataste, son collègue, abonde. Triple actif (il est producteur d’agneaux, berger, et donne des cours d’élevage de chiens), il résume : « Le maître-mot, c’est le pastoralisme. D’une certaine manière, nous sommes rémunérés par l’Europe pour entretenir le paysage. »

Une situation douce-amère, vécue par bien des agriculteurs de montagne : « On travaille énormément. On vit aussi très bien, même si on tire moins d’un Smic par personne de nos exploitations, qui vit comme nous ? On a généralement notre logement, on mange nos produits et nous exerçons une activité que nous aimons. Ailleurs en France, un smicard va chez Lidl. »

Troupeau de biches

Certaines zones ont connu des épisodes de « cochongliers ». Le Plateau de Sault affronte un troupeau de biches : « Elles ont été introduites par les chasseurs, qui en tirent des revenus, et se multiplient sur le Plateau. Elles broutent la moitié de notre production de foin. C’est énorme, et cela affecte évidemment nos rentabilités. À titre d’exemple, je dois sortir mes vaches avec un mois de retard, et encore, elles ont déjà enlevé toutes les premières coupes », relève Margot Morisot.

« Les fédérations de chasseurs refusent de compenser les pertes sur les prairies. Et les choix d’équipement qu’ils financent éventuellement ne sont pas adaptés. Les biches sautent bien au-delà d’1,40m », décrit Jérémie.

Il continue : « Les comptages, qui n’offrent qu’une vision partielle de la réalité, ont relevé 800 bêtes. Nos prairies engraissent le plus gros troupeau du plateau, qui ne nous appartient pas. Au-delà même des pertes actuelles, biches et cerfs sont des porteurs sains de brucellose. Si la transmission avec nos troupeaux se fait, une hypothèse réaliste, c’est une catastrophe. Nous demandons une meilleure régulation, mais nous ne sommes pas écoutés car nous ne pesons pas assez économiquement.  »

Pourquoi ce sujet ?

Les agricultrices et agriculteurs de la cuma du Petit Plateau produisent de la nourriture en quantité et en qualité. Ils et elles se battent contre la déprise agricole au quotidien, contre l’invasion des biches qui déstabilisent les écosystèmes et leurs exploitations. Amènent des revenus, de l’activité économique, sociale, intellectuelle, bref, de la vie en dehors des villes. Rationalisent leurs outils de production, stockent du carbone aussi. Essaient d’élaborer des réponses solidaires à des problèmes de société graves, la pauvreté, l’alimentation.

Ils sont au cœur des solutions, pas « au bord ». Il fallait aller les rencontrer, dans l’espoir que de rendre visibles ces contributions. Pour qu’un jour, peut-être, ce travail puisse être objectivé, et rémunéré, sans arbitraire et sans épée de Damoclès. Afin qu’eux-mêmes puissent se considérer autrement que comme des acteurs « folkloriques ».

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