À Auch, devant la préfecture du Gers, département le plus durement touché par l’épizootie, quelques dizaines d’éleveurs et de chasseurs, réunis sous une bannière dénonçant la « mort de la filière », ont manifesté leur désarroi face à l’incertitude, tout à la fois engourdis par le froid et abasourdis par l’annonce de cette campagne, la veille, par le ministère de l’Agriculture. « C’est un coup de massue », a fustigé Jean-Michel Duffau, gérant d’une coopérative à Riguepeu (Gers), qui va devoir recourir au chômage partiel pour ses 60 salariés. « Le gros problème, c’est qu’à ce jour, on ne sait pas du tout quand on va pouvoir reprendre. » « L’abattage a commencé ce (jeudi) matin », a-t-il dit à l’AFP.
Les cas de grippe aviaire ne cessent de grimper depuis un mois. Jeudi après-midi, le nombre de foyers confirmés était passé à 95, principalement dans des élevages du Sud-Ouest, et cinq cas dans la faune sauvage. Le virus H5N8 qui se propage de façon fulgurante depuis fin novembre dans l’Hexagone, est classé « hautement pathogène ». Il est « nettement plus meurtrier » que la souche H5N1 de fin 2015, selon Jean-Luc Guérin, professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et chercheur à l’INRA.
Face à l’ampleur de la crise, le ministère de l’Agriculture a décrété l’abattage massif de canards et d’oies dans l’espoir d’endiguer l’épidémie. Plus de 300.000 canards ont déjà été abattus dans les zones infectées. Et la nouvelle zone d’abattage préventif comprend un million de palmipèdes élevés en plein air et prêts à gaver.
Dans le flou
Jusqu’au 20 janvier, « les abattages préventifs de palmipèdes peuvent être ordonnés » dans 150 communes au total, selon l’arrêté paru jeudi au Journal officiel. Sont concernées 88 communes du Gers, qui concentre plus de la moitié des foyers, mais aussi 53 communes des Landes, six des Hautes-Pyrénées et trois des Pyrénées-Atlantiques. « Un abattage qui va durer dix jours, plus un vide sanitaire qui va durer un mois, peut-être plus, le temps de remettre des canetons en place pour avoir des canards en gavage, ce ne sera pas fini avant fin juin », a expliqué Philippe Baron, président de l’Association gersoise pour la promotion du foie gras. « On est dans le flou le plus total (…), il y a des gens qui ont envie de quitter le métier », a-t-il ajouté au sortir d’un comité de suivi à la préfecture d’Auch qui a provoqué des conversations très animées parmi les manifestants.
« Le gouvernement a pris des décisions terribles pour nos éleveurs, mais probablement les seules qu’il faille prendre si on veut faire redémarrer cette filière », a estimé, au sein de la manifestation, Philippe Martin, président PS du conseil départemental et député du Gers. Pour Christian Candelon, éleveur de canards prêts à gaver à Castillon-Debats (Gers), « la filière est plus qu’en danger ». « Aujourd’hui, c’est la seule solution » car « on a laissé pourrir la situation », a-t-il dénoncé. « Si on avait réagi un mois plus tôt, au lieu d’abattre un million de canards, on en aurait abattu 100.000. » « Ce soir, quand je rentrerai dans mon village, il n’y aura plus un seul canard. Ils les auront tous abattus », a déploré Isabelle Daugreilh, gaveuse depuis 35 ans à Montgaillard (Landes). « C’est catastrophique pour nous, je n’ai plus de revenus jusqu’à la reprise. » « On ne sait pas où on va, parce qu’on ne sait pas jusqu’à quand ça va durer, donc financièrement, on est très mal », a renchéri Sylvie Caussade, éleveuse-gaveuse à Ossun (Hautes-Pyrénées), qui avait déjà dû abattre 880 canards le 10 décembre, « une catastrophe ».
Le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG), qui représente les éleveurs et industriels de la filière foie gras, « craint des pertes considérables » de l’ordre de 75 à 80 millions d’euros en comptant le coût de l’abattage et celui du vide sanitaire qui suivra.