Les agriculteurs sont des citoyens comme les autres, ils sont concernés par le réchauffement climatique qu’ils vivent au quotidien. Ils sont aussi concernés par la qualité des produits et notamment l’utilisation des OGM », explique Claire Ruault, sociologue spécialisée dans le développement rural, à l’occasion du salon SPACE réuni à Rennes. « L’exemple type, c’est le producteur de porc qui est conscient que le public ne veut plus de viande aux antibiotiques », poursuit la sociologue. Selon elle, plusieurs éléments font basculer l’agriculteur dans une démarche qui se veut « éco-performante« , c’est à dire qui concilie productivité et respect de l’environnement. Le « déclic » est souvent lié aux problèmes de santé auxquels les exploitants sont confrontés notamment lors de manipulation de produits chimiques. Les difficultés économiques et la perte de sens sont autant de facteurs qui vont modifier les pratiques de l’agriculteur, explique Mme Ruault. C’est le cas de Patrick Guillerme qui a décidé de produire du lait bio après avoir rencontré des problèmes respiratoires en utilisant des pesticides. « Insatisfait du produit final fournit dans l’assiette » avec une agriculture conventionnelle, l’agriculteur de Theix (Morbihan) se satisfait de ses 300.000 litres de lait par an issus de ses vaches herbivores. En 2016, il vend son lait bio à 45 centimes d’euro de moyenne contre 28,7 pour le lait dit classique.
Pierre, producteur de lait dans les Côtes-d’Armor, s’inscrit lui dans une démarche « d’agriculture durable« . Il a réduit ces phytosanitaires, et « n’utilise plus depuis 15 ans de fongicide ni d’insecticide ». Pour autant, il ne souhaite pas se tourner vers une agriculture bio qui selon lui ne fonctionne qu’en « circuit court » et ne peut « nourrir toute la France ». Ces nouvelles démarches qui se veulent écologiques sont encouragées par le ministère de l’Environnement et les chambres d’agriculture comme celle de la Bretagne, première région agricole, qui a lancé des appels à projet pour « une agriculture écologiquement performante » (AEP). En pratique, ces dernières contribuent au financement de systèmes de méthanisation permettant une production de biogaz ou met à disposition des huiles essentielles pour traiter les animaux malades, détaille Frédéric Vanpoulle, arboriculteur à Guichen (Ille-et-Vilaine). Ce producteur de pommes bio recourt à « des préparations à base de bouse de vache » pour « améliorer l’enracinement et la photosynthèse des plantes ». « On ne peut plus maltraiter la terre indéfiniment avec du poison! Ces outils peuvent être utilisés par tout le monde », assure-t-il.
La difficulté de changer de système
Néanmoins, Patrick Guillerme, également président de la Fédération régionale des agrobiologistes (Frab) concède qu’il est « difficile de changer de système ». « L’agriculture est une industrie lourde, certaines exploitations valent le million d’euros. Les agriculteurs s’endettent sur 15-20 ans, leur marge de manœuvre est étroite ». Il ajoute que la complexité des techniques peut être aussi un frein. Pour Cécile Chinon qui exerce dans une importante exploitation de plus de 30 salariés, travailler dans le bio est une charge de travail encore plus importante qui peut, selon elle, « très rapidement dégoûter un jeune qui s’installe ». A cinq ans de la retraite, Marc, producteur de porc en Mayenne, est quant à lui dubitatif: « Comment voulez-vous nourrir les bêtes avec les sécheresses »? Et « le prix dans l’assiette ne sera pas le même ». En 2015, le marché du bio estimé à 5,76 milliards d’euros (+14% par rapport à 2014) représente 3% du marché alimentaire français, selon les données de l’Observatoire National de l’Agriculture Biologique. Une part de marché qui ne cesse de croître mais dont la limite est évaluée à « 20% », admet M. Guillerme. Les 80% restant évolueront en s’inspirant des pratiques bios, prédit-il. Et à ceux qui moquent son « idéalisme », il rétorque: « l’utopie, c’est de croire qu’on pourra continuer dans une agriculture industrielle telle qu’on la connaît ».
Rennes, 16 sept 2016 (AFP)