Premier producteur européen de viande ovine, le Royaume-Uni exporte 54% de sa production en France, tandis que la filière tricolore ne fournit que 43% de la consommation française. « La sortie du Royaume-Uni peut véritablement bouleverser les échanges », s’alarme la présidente de la Fédération nationale ovine française (FNO), Michèle Boudoin, dans les allées du Sommet qui se tenait jusqu’à vendredi près de Clermont-Ferrand. La profession craint surtout que les Britanniques jouent sur les deux tableaux, un pied dedans et un pied dehors. Ils bénéficieraient à la fois d’une dévaluation de la livre sterling, tout en continuant de toucher les aides de la Politique agricole commune (PAC) en euros pendant deux ans après l’activation de l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui marquera le début de la procédure de divorce avec l’UE.
Cette nouvelle situation fera « baisser les prix européens » et rendra l’agneau anglais « plus compétitif à l’export », explique à son tour Maurice Huet, président de la section ovine à l’interprofession de la viande française Interbev. Quid aussi des 287.000 tonnes de contingents d’importation détaxés et dédouanés dont bénéficient la Nouvelle-Zélande et l’Australie en Europe, et dont la moitié est actuellement importée par des entreprises britanniques. « On est dans une économie ovine mondialisée depuis l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne en 1973. Si la Nouvelle-Zélande n’a exporté en 2015 que 70% de son contingent européen (228.000 tonnes équivalent carcasses), il faudra tout de même veiller au grain pour qu’ils soient désormais bien répartis à la fois au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe », souligne Maurice Huet, qui élève des brebis près de Cluny (Saône-et-Loire). A titre de comparaison le gigot néo-zélandais est vendu dans les supermarchés français 6,50 euros le kilo quand l’équivalent français atteint 18 euros, selon la FNO.
Mouton irlandais aux aguets
Les rayons français pourraient aussi voir arriver en masse le mouton irlandais, du fait des nouvelles barrières douanières qui pourraient se mettre en place avec le Royaume-Uni. « Les producteurs irlandais (sur)produisent 228% de leur consommation intérieure, qu’ils exportaient à plus de 43% vers leur voisin anglais. Ils cherchent désormais de nouveaux débouchés et vont certainement doubler les kilos d’agneau qu’ils envoyaient en France » et le reste du continent, prévient aussi Michèle Boudoin. Pour les éleveurs, le Brexit arrive au mauvais moment alors qu’ils commençaient à redresser la tête après le choc subi lors de l’entrée de ce même Royaume-Uni dans l’Europe qui a ouvert les portes de l’Union à l’agneau du Commonwealth. La filière française s’était en effet réduite à peau de chagrin: depuis les années 80, le cheptel français a diminué de moitié, avec seulement 5,3 millions de bêtes en 2015, selon des chiffres de l’Institut de l’élevage. « On a aussi perdu un gros tiers des éleveurs. Ceux qui restent, ce sont les derniers des derniers », précise encore Mme Boudoin, installée à Ceyssat au pied du Puy-de-Dôme.
Depuis 2010, les moutons français étaient cependant sortis du marasme grâce à des prix solides et la révision de la politique agricole commune en leur faveur. La transition risque donc d’être délicate d’autant que la santé de la filière ovine est pour le moins fragile avec une baisse généralisée de la consommation de viande d’agneau en Europe. « En France, l’agneau n’est pas culturel, c’est une viande festive, consommée par des gens âgés qui ont un revenu supérieur à la moyenne. On perd des consommateurs chaque année » regrette M. Huet. Autre motif d’inquiétude: le renouvellement des générations. D’ici 5 à 10 ans, 50% des 49.000 éleveurs français (qui combinent souvent d’autres productions agricoles) devraient partir à la retraite.
Cournon-d’Auvergne (France), 7 oct 2016 (AFP)