« Dans un monde incertain (…), les liens profonds et anciens qui unissent l’Europe et le Canada sont particulièrement précieux », a plaidé d’emblée le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Dans un hémicycle fourni, il a défendu un « accord important » face à un climat mondial « préoccupant », vantant le bilan « positif » de son application provisoire depuis près de deux ans. Le texte controversé, qui concerne 510 millions d’Européens et 35 millions de Canadiens, supprime notamment les droits de douanes sur 98% des produits échangés entre les deux zones. Il doit être ratifié par les 38 assemblées nationales et régionales d’Europe, d’où son examen à l’Assemblée, puis au Sénat à une date qui reste à définir.
Après de vives protestations des oppositions contre un scrutin « en catimini », le vote des députés français initialement prévu à l’issue des débats mercredi soir a été repoussé in extremis à mardi. Le texte suscite des réticences jusque dans la majorité présidentielle, où des abstentions sont probables. Et les oppositions de droite comme de gauche, qui dénoncent un débat « au coeur de l’été », sont très remontées. Dans une atmosphère assez tendue, les socialistes ont défendu en vain une motion de rejet, repoussée par seulement 136 voix contre 110. Le parti Les Républicains (droite) a ensuite plaidé pour un « ajournement » de la ratification, mais là aussi sans succès (134 voix contre 116), avant que les députés n’entament l’examen des deux articles du texte, avec pas moins d’une soixantaine d’orateurs inscrits sur le premier et une quarantaine d’amendements de suppression à examiner.
« Mensonges » et « cochonnerie »
Les Républicains réclament que le volet agricole soit exclu de l’accord. Ils pointent un « double risque » sur la viande bovine : « sanitaire » et de « déstabilisation de la filière ». Ils accusent le gouvernement français et la majorité de « mensonges éhontés » sur les farines animales. Elles seront « bel et bien consommées par les bovins qui vont atterrir dans nos assiettes », selon le député Pierre-Henri Dumont (LR), glissant un « bon appétit » à la majorité. Les députés UDI et indépendants évoquent pour leur part de « vraies menaces » et devraient majoritairement voter contre. Pour Marine Le Pen, la cheffe de l’extrême droite française, le traité qui « illustre le clivage entre mondialistes et nationaux » est « un danger pour notre pays et pour nos compatriotes ». Il va affaiblir notamment un secteur agricole « très fragile » et est porteur d’un « grave risque sanitaire ».
Même hostilité des groupes de gauche – Parti socialiste (PS), Parti communiste, La France insoumise (LFI, gauche radicale) – qui dénoncent un texte « perdant » pour la France, « incompatible avec les accords de Paris », avec un « veto » climatique « introuvable » malgré les affirmations de la majorité. « C’est +make our planet great again+ pour les multinationales et les gros investisseurs financiers », a fustigé Laurence Dumont (PS), tandis qu’Olivier Faure a souligné l’« alerte venue de partout », des agriculteurs comme des écologistes. En appui, Danièle Obono (LFI) a mis en avant l’« arc de force très large » à l’Assemblée et au dehors contre l’accord. « Vous êtes seuls », a aussi lancé François Ruffin (LFI) à la majorité, estimant comme le parti LR que le gouvernement français n’avait « cessé de mentir » sur les farines animales, et qualifiant le Ceta de « cochonnerie » inspirée par les lobbies économiques.
Pour les viandes, « ce sont les normes européennes qui s’appliquent », a insisté M. Le Drian. « La vérité, je le conçois, fait mal, mais c’est la vérité! », a-t-il clamé alors que des députés d’opposition protestaient. « Fake news » des oppositions, balaie aussi la majorité, qui pointe que seules 36 fermes canadiennes peuvent exporter dans le cadre des normes européennes. Roland Lescure (majorité) a évoqué un maximum de « 100 grammes de viande par habitant et par an », « un tout petit steak ».