Comme une dizaine d’autres jeunes paysans, Caroline, 34 ans, syndiquée aux Jeunes agriculteurs (JA), incarne quelques tendances fortes de l’agriculture française, notamment sa féminisation croissante. « Les statuts changent mais la femme a toujours travaillé », explique celle qui a repris l’exploitation de ses parents pour l’exploiter avec son mari. « La femme en agriculture, c’est une longue histoire, elle a toujours existé, mais elle était cachée, elle n’était pas reconnue », poursuit la jeune femme, qui appartient à la 4e génération d’agriculteurs de sa famille à Roncq, près de Lille.
Selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, un quart des exploitants agricoles sont désormais des femmes. Et la tendance semble se renforcer, puisque la part des filles dans les effectifs de l’enseignement agricole ne cesse de progresser: de 39% en 1990, elle est passée à 52% en 2010. Même si toutes ne finiront pas par être à la tête de leur ferme, même s’il existe une multitude de métiers dans ce secteur, « dans un couple, une femme sait faire passer des idées, dans une ferme, c’est la même chose », relève Caroline. Dans une ferme, « c’est par la femme que la diversification arrive, la communication », estime-t-elle.
C’est l’autre tendance forte qu’incarne Caroline dans cette campagne des JA : la communication, « faire un lien entre le monde agricole et le monde citadin », presque un troisième métier pour celle qui avant d’élever une quarantaine de vaches laitières, a été aide-soignante pendant dix ans. Pour assurer la rentabilité de sa ferme, mais avec une farouche envie de transmettre les valeurs agricoles, elle l’a en effet très vite ouverte aux sorties scolaires et aux goûters d’anniversaires. « Communiquer sur la base des produits, c’est important. Les consommateurs ne savent plus que le lait vient des vaches », explique-t-elle calmement, mais avec un ferme désir de « changer les mentalités » et de démonter les idées reçues selon lesquelles quand on est agriculteur, forcément, « on pollue, on est riche ».
« On se sent mis de côté »
Autre cliché qu’elle souhaite mettre à mal, celui selon lequel les agriculteurs traitent mal leurs bêtes: « je ne me soigne aux antibiotiques que quand j’en ai besoin. Pour mes vaches, je fais pareil », dit-elle, évoquant homéopathie et huiles essentielles parmi les remèdes administrés à ses protégées. « On vit avec notre métier. Lorsque vient le soir, ce n’est pas +on ferme la porte du bureau et c’est fini+ », souligne-t-elle. D’où son incompréhension quant à la crise, du fait des prix payés par les industriels aux producteurs: « il n’est pas tolérable que des personnes qui travaillent 80 heures par semaine n’arrivent pas à vivre de leur travail ».
De là, également, sa décision de diversifier son exploitation. Outre ses vaches, et l’organisation de goûters d’anniversaire, elle accueille avec son mari une quinzaine de chevaux en pension. Mais ça ne suffit pas toujours. « Je n’aurais que du lait, je n’aurais pas passé la crise », dit-elle, avant de lâcher: « même moi, je vais travailler à l’extérieur », assurant quelques remplacements comme aide-soignante, parce qu’il y a « la famille à faire vivre ». Pas de quoi altérer sa fierté de « faire travailler 7 autres personnes » grâce à son activité dans le Nord-Pas-de-Calais (contre 5 en moyenne dans le reste du pays).
Une raison de plus pour que « nos politiques s’intéressent à l’agriculture, et pas seulement au moment du salon: on subit une crise depuis deux ans, on se sent mis de côté ». Si elle ne dit pas pour qui elle votera à la présidentielle, elle écarte implicitement tout vote pour la candidate du Front national: « le jour où il n’y aura plus d’Europe, les premiers qui vont souffrir, ce sont les agriculteurs ».