Au milieu des coriandres épineuses et ciboulettes dont les arômes embaument les allées du marché, Mme da Silva craint qu’il soit difficile « de se faire entendre » d’un gouvernement de militaires et d’ultra-libéraux, où les géants de l’agriculture industrielle brésilienne sont bien représentés.
L’organisation paysanne à laquelle elle appartient, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) qui organise la foire, est née en 1984. Devenu l’un des plus importants mouvements sociaux d’Amérique latine, il réclame une redistribution des terres cultivables en faveur des petits paysans et une agriculture respectueuse de l’environnement.
Soit l’exact opposé du modèle agricole dominant favorisant les monocultures de soja, maïs et canne à sucre ainsi que l’élevage intensif de bétail, destinés à l’exportation, ce qui renforce la concentration des terres au détriment des petits producteurs.
Cette année, la foire n’a pas reçu d’aide publique. Mais Mme da Silva, installée en périphérie de Rio, se réjouit de l’accueil réservé par les cariocas: « Nous avons eu de très bons retours ».
« Pour nous, c’est important de montrer » que les petits paysans savent « produire en quantité des aliments sains », sans pesticides, explique-t-elle.
Répartition inégale des terres agricoles
« Notre type d’agriculture va déjà à contre-courant de la politique agricole actuelle », dit-elle. L’arrivée en janvier au ministère de l’Agriculture de l’ancienne responsable du lobby de l’agrobusiness à la Chambre des députés, Tereza Cristina da Costa, va rendre « encore plus difficile de faire entendre nos revendications » s’inquiète Mme da Silva.
Un peu plus loin dans le marché, Silvano Leites vend quatre variétés de bananes bio aux dimensions impressionnantes, produites sur un camp du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, où il vit, à 200 km de Rio de Janeiro.
« Si nous devions compter sur l’agrobusiness pour remplir les étals, on ne trouverait que du boeuf et du soja », critique ce militant.
« Nous cultivons du manioc, des haricots, des fruits de la passion, des ananas tout en suivant un projet de récupération environnementale: au lieu de l’abattre, nous laissons la forêt s’entremêler à nos cultures », ajoute-t-il.
Les familles de son camp occupent les anciennes terres d’une grande propriété, qui ne remplissait pas les critères d’exploitation imposés par l’État et qui était accusée de déboisement illégal.
Après trois années installées dans des habitations précaires en bord de route, les familles ont fini par obtenir une expropriation de la ferme et l’autorisation d’y cultiver leurs produits.
« Les occupations du MST sont une manière de faire pression sur le gouvernement pour qu’il applique la loi. Sans ça, aucune redistribution des terres agricoles n’aurait eu lieu », assure Silvano Leites.
Au Brésil, la répartition des terres agricoles est très inégale: en 2009, 84% des exploitations pratiquaient une agriculture familiale et employaient 12,3 millions de personnes sur seulement 24% des terres cultivables, contre 4,2 millions de salariés pour l’ensemble des grandes exploitations.
D’après un rapport plus récent de l’Oxfam, 1% des propriétaires brésiliens détenaient, en 2016, 45% des terres agricoles.
Conflits agraires: 24 tués depuis janvier
Mais le MST, qui regroupe 500.000 familles de paysans, est dans le viseur du président élu. Il veut classer l’organisation comme groupe terroriste et a déclaré lors de sa campagne vouloir « donner des fusils » aux grands propriétaires ruraux, comme « carte de visite pour les envahisseurs » sans-terre.
« Avant l’expropriation, les familles ont déjà été expulsées plusieurs fois par la police. Mais la pression va s’accentuer. Jair Bolsonaro nous voit comme un ennemi et appelle la société à nous attaquer », ajoute le militant.
Samedi 8 décembre, deux coordinateurs du MST ont été assassinés dans le nord-est du pays. Depuis le début de l’année, la Commission pastorale de la terre (CPT), une organisation catholique de défense des droits des paysans, a enregistré 24 assassinats liés aux conflits agraires, dont la moitié des victimes étaient des leaders de mouvements sociaux.
En 2017, la violence dans les campagnes avait atteint son plus haut niveau en quatorze ans, avec 71 assassinats.
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