Avec les coccinelles anti-pucerons, les trichogrammes, micro-guêpes de moins d’un demi-millimètre de long, sont parmi les principaux auxiliaires de la lutte biologique (ou biocontrôle) en agriculture. En pondant leurs œufs dans les larves des pyrales – des chenilles qui dévastent les buis et les maïs – les trichogrammes empêchent la naissance d’autre ravageurs.
En Allemagne, ils sont déployés sur 20% des surfaces de maïs traitées contre la pyrale, selon l’association française de produits de biocontrôle (IBMA) qui regroupe une trentaine de sociétés. Mais en France, le biocontrôle de la pyrale du maïs, lancé depuis plus de 20 ans, n’est encore utilisé que sur quelque 120.000 hectares, soit moins de 10% des 1,3 million d’hectares de maïs-grain cultivés.
Au total, sur le marché français de la protection des plantes, ultra-dominé par les insecticides, herbicides, et fongicides chimiques, le biocontrôle ne pèse que 5%. Bien qu’il n’existe pas d’insecte parasitoïde pour les ravageurs de toutes les cultures (colza et blé sont sans solution), l’objectif de l’IBMA est de parvenir à 15% d’ici 2025, encouragé par le plan de réduction des pesticides annoncé la semaine dernière par les ministres Nicolas Hulot, Stéphane Travert, et Agnès Buzyn, et le développement de l’agriculture bio.
« Nous avons lâché 15 milliards de trichogrammes l’an dernier en France », explique à l’AFP Jean-Baptiste Regnard, ingénieur agronome chez Bioline, société de biocontrôle rachetée en 2016 par le groupe coopératif InVivo au géant de l’agrochimie Syngenta.
Viser juste
Pour Olivier Groyer, agriculteur et éleveur de chèvres entre Saumur et Angers, la décision de lâcher des trichogrammes dans ses champs de maïs, n’avait rien d’écolo, ni de bio. C’était un choix de gestionnaire. « J’ai commencé à utiliser le biocontrôle parce que je n’étais pas équipé de machine enjambeuse pour traiter les maïs avec une solution chimique lorsqu’ils arrivent à une certaine hauteur » explique-t-il.
La pyrale ne peut pas se traiter n’importe quand. Il faut viser juste. En fonction du développement des larves, puis de la transformation des chenilles en chrysalide.
« Lorsqu’on voit une chenille, on sait que le papillon va voler dans les dix jours, et donc pondre », explique à l’AFP Sébastien Rousselle, de Bioline. C’est le moment où les minuscules trichogrammes doivent passer à l’action. « L’utilisation des insectes-auxiliaires est un peu plus technique que le recours à des insecticides de synthèse, c’est basé sur l’observation, mais nous sommes contents parce qu’en agissant ainsi, nos chèvres mangent du maïs qui n’a pas reçu de traitement chimique », dit l’agriculteur.
De la taille d’une carte de crédit, les diffuseurs de trichogrammes sont biodégradables : deux plaques de carton collées l’une contre l’autre, renfermant des œufs à divers stades de développement, et percés sur la tranche d’infimes trous, de la taille d’une tête d’épingle: porte de sortie des vaillantes micro-guêpes.
Nombre d’exploitations se sont laissées séduire par des diffuseurs sous forme de billes de carton, catapultées par drone sur les maïs. Le résultat n’a pas toujours été à la hauteur des espérances, car les diffuseurs doivent tomber à l’ombre d’une feuille. Sinon leurs œufs cuisent au soleil et les micro-guêpes ne sortent pas.
Une application participative gratuite « Geoinsecta » lancée en test l’an passé a permis de géolocaliser 150 sites infestés par les voraces chenilles de la pyrale du buis en France. Croisées avec les données du bulletin de santé du végétal (BSV) qui donne à une échelle plus large, les évolutions des ravageurs dans toute la France, les données permettront d’affiner les dates de placement des diffuseurs.
Cette année, les trichogrammes vont être utilisés pour la première fois en viticulture, contre les très redoutées « tordeuses » de la vigne que sont les chenilles « eulia », « cochylis », ou « eudemis ». Elles mangent le raisin de l’intérieur et finissent par faire pourrir les grappes. Les tests menés dans tous les bassins viticoles montrent une efficacité équivalente à un insecticide chimique, affirme Bioline. Principal frein à leur utilisation, paradoxal : ce mode d’action naturel s’accommode difficilement avec le bio, car le petit trichogramme est repoussé par le souffre, largement utilisé en viticulture bio.