« Les petits pas ne suffisent plus », avait posé le président de la fncuma en introduction. L’équipe nationale a donc décidé d’ouvrir la question de l’avenir de l’agriculture. Dans le droit fil de ses valeurs, avec une table-ronde sur le thème « La solidarité est-elle un enjeu pour l’agriculture du 21e siècle? Et quelle place pour les collectifs? »
Tout d’abord, une histoire. Dans l’Aude, troisième département le plus pauvre de France, le confinement lié au Covid a eu des effets inattendus. Un quart des habitants, souvent dans des secteurs montagneux, habite à plus de 25km d’un point de vente de denrées essentielles. Ainsi, confinés, ils ne pouvaient plus acheter à manger.
En parallèle, une myriade d’agriculteurs du secteur n’avaient plus de débouchés. Les marchés de plein vent avaient fermé.
En s’appuyant sur des groupements de producteurs, d’acheteurs et de cuma existants, des filières d’approvisionnement se sont développées pour fournir à manger à ces personnes isolées, et préserver des débouchés pour les agriculteurs.
Désormais, deux de ces groupes font partie du projet Catalyseur, porté par la fncuma*. Le projet est financé dans le cadre de la mesure « Alimentation locale et solidaire » du plan France Relance.
Solidarité pour garder des habitants
Ainsi cette illustration concrète d’un mouvement solidaire, à l’initiative des agriculteurs, donne le ton: combattre la pauvreté qui s’installe dans les zones rurales, garder des familles et des acteurs économiques viables dans ces territoires.
Et même au-delà: selon les mots de Julien Adda, directeur du réseau Cocagne (l’un des intervenants), « utiliser la précarité comme ferment du futur des territoires agricoles ». En résumé, transformer une faiblesse en force.
Les 4 intervenants, issus d’organisations a priori peu habituées à travailler avec les cuma, ont affirmé la nécessité de s’allier, pour démultiplier les actions de chacun. Ils ont aussi souligné la convergence de valeurs, certaines ont mis en parallèle leur proximité de terrain et celle du réseau cuma.
Étaient présents sur l’estrade Barbara Mauvilain, responsable du service des relations institutionnelles des Banques alimentaires, Julien Adda, directeur du Réseau Cocagne, Vincent Jannot, directeur des partenariats chez Terre de Liens et Blaise Desbordes, directeur Général de Max Havelaar.
Deux projets des Banques alimentaires ont ainsi été retenus dans le projet Catalyseur, « répondant à nos objectifs de diversification des sources et de qualité des produits », a souligné Barbara Mauvilan.
« D’abord, un projet lourd en investissement: une légumerie solidaire dans la Manche, pour préparer les légumes à destination de la restauration collective, avec une dimension d’insertion économique par l’emploi, mais aussi pour préparer des conserves de légumes pour les bénéficiaires. »
Des agriculteurs partenaires
Deuxième projet: « une épicerie itinérante dans l’Isère, on veut créer de l’animation autour de cet outil. Nous souhaitons que les agriculteurs soient des partenaires, pas des fournisseurs », a-t-elle souligné.
Les Jardins de Cocagne, dirigés par Julien Adda, ont pour fonction de réinsérer des personnes en très grande précarité par l’activité économique. Avec cent jardins, ils fournissent annuellement 1,2 millions de paniers par an à leurs adhérents et accueillent 5000 « jardiniers ». Dont la moitié retrouvent un emploi ou une formation après leur passage.
« Il est essentiel pour nous d’avoir un accord territorial avec les agriculteurs avant de commencer » a-t-il souligné.
« Nos implantations ne sont pas celles des traditionnels bassins de maraîchage, mais plutôt des bassins de précarité ». « Chaque projet est un petit espace d’innovation » a-t-résumé, citant le travail entrepris avec le Conseil départemental du Loiret pour réduire la précarité en milieu rural.
« Nous sommes traversés par la pensée économique classique, c’est un gros travail d’en sortir. Mais c’est aussi cela, innover » a-t-il souligné.
Avenir de l’agriculture: il y a des volontaires pour s’installer
« Sur l’installation, on n’arrive pas à changer les tendances », a pour sa part exposé Vincent Jannot, directeur des partenariats chez Terre de Liens. L’association a acquis en 15 ans une taille respectable, travaille aujourd’hui avec les Safer dont il salue l’action.
« Si on regarde dans d’autres pays européens qui n’ont pas de structure comparable aux Safer, la situation du foncier agricole est bien pire encore qu’en France », souligne-t-il.
Mais, note-t-il, « en 10 ans, Terre de Liens a ‘libéré’ de la pression foncière 300 fermes, 250 en propre et une cinquantaine en GFA, pour installer des personnes le plus souvent non-issues du monde agricole, les ‘Nima’. Cent exploitations par semaine disparaissent. »
« Vous représentez plus de 50% des agriculteurs sur le terrain. On a besoin de vous pour changer d’échelle. Il va falloir se mettre ensemble pour affronter ce problème de renouvellement des générations. »
« Les agriculteurs n’aiment pas beaucoup l’entendre. Mais vous ne pourrez pas compter sur vous-mêmes et vos enfants pour assurer la totalité de ce renouvellement. La question de l’accueil de ces « Nima », et de leur accès au foncier, est donc cruciale. »
Autre chiffre transmis par M. Jannot: « sur un million d’hectares échangés par an en France, 50% va à l’installation, 40% à l’agrandissement, 10% à l’artificialisation. »
Une proportion qui interroge sur la capacité des exploitations à demeurer rentables à périmètre constant. Sur le financement des retraites agricoles. Mais aussi, dans une certaine mesure, sur la volonté même de la profession agricole à installer de futurs repreneurs.
Commerce équitable, en France aussi
L’intervention de Blaise Desbordes, de Max Havelaar a permis de mettre en lumière un nouveau cahier de charges. Il est en cours de diffusion et concerne le blé et le lait dans un premier temps.
Max Havelaar est l’un des principaux acteurs du commerce équitable, traditionnellement avec les Pays du Sud. Il propose donc désormais aux agriculteurs français un dispositif de fixation de prix minimum garanti sur ces produits.
« Bien entendu, pour répondre à la question de la table-ronde, la solidarité est l’enjeu agricole du 21e siècle. Arrêtons de dire qu’on peut avoir un territoire qui va bien avec un lait payé à 10 centimes le litre. Nous sécurisons le premier échelon, et ensuite, le commerce fait son travail », a-t-il exposé.
« Quand on dit « le consommateur n’en voudra jamais à ce prix », c’est faux, cette histoire. Par contre, le consommateur ne veut pas d’allégation ou de label creux. »
Pas de tabou
Les interventions dans la salle ont mis en lumière toute la difficulté à s’extraire des raisonnements et oppositions classiques qui parcourent le monde agricole.
Bio/pas bio, grande ou petite coopération, robustesse de ces chaînes de valeurs « alternatives »… Les agriculteurs présents ont questionné le thème de solidarité, la pertinence des modèles présentés.
La solidarité était au cours de cette table-ronde abordée sous de multiples facettes. La réinsertion de personnes précaires, la consolidation de circuits alimentaires locaux et de qualité pour tous. Mais aussi la création d’activités économiques et de débouchés rémunérateurs pour les agriculteurs. Ou encore la possibilité à tout porteur de projet agricole de s’installer.
Il ne s’agit pas de demander aux agriculteurs, parfois eux-mêmes fragilisés, de prendre en charge cette solidarité. Mais au contraire de tisser des liens. De « s’hybrider » avec d’autres acteurs pour redynamiser les territoires ruraux, économiquement et humainement.
La bonne nouvelle, c’est que le format a permis à tous de s’exprimer et de dialoguer. Les intervenants ont tenu leurs positions et alimenté une réflexion ambitieuse.
*mené en partenariat avec l’Avise, Codesign-it, Familles Rurales, France Fraternités, Réseau Cocagne, Réseau des Banques Alimentaires, RTES, Union nationale des CPIE et Vrac
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