C’est le cas d’un nombre croissant d’enfants d’agriculteurs : aller voir ailleurs fut le premier réflexe d’Arnaud Soulet. Ses parents ont développé une belle activité de vente de viande en direct. Son père, au conseil d’administration de la cuma de Lombers, se repose sur le service complet pour les travaux de la terre. « Je voulais faire autre chose dans un premier temps », explique le jeune homme, qui se lance alors dans un BTS technico-commercial des produits alimentaires, à Villefranche-de-Rouergue en Aveyron. Un choix pragmatique, qui lui permet autant d’élargir ses horizons, de cultiver la fibre commerciale familiale, que de revenir sur l’exploitation.
L’expérience de l’entreprise
En parallèle, ses parents embauchent une apprentie. Si l’envie de reprendre piquait Arnaud, il ne pourrait pas le faire seul de toute façon. Premier emploi pour lui dans une entreprise de transports en commun, d’abord de la mécanique légère, du ramassage scolaire. « Au bout de 8 mois, j’ai fini dans les bureaux, pour organiser une flotte de 40 véhicules et 50 personnes », explique-t-il. A 21 ans, pas facile de gérer une équipe composée de salariés bien plus âgés. Il travaille donc pendant les 4 années qui suivent dans une autre entreprise, cette fois comme chauffeur routier. « Là j’ai eu un choc, ayant l’habitude de travailler dans des entreprises familiales. A la réception de mon premier bulletin de salaire, mon numéro de matricule était plus gros que mon nom ! » Puis l’apprentie, qui devait s’installer, doit partir suite à la mutation de son mari. Les parents d’Arnaud Soulet se retrouvent seuls, et la question de la reprise devient d’autant plus aiguë que leurs retraites approchent à grands pas. « Je me suis décidé », dit-il simplement, évoquant son retour sur l’exploitation familiale en 2007.
100% cuma
Il y travaillera donc 6 ans en tant que salarié, une période sur laquelle il impulse avec ses parents le développement de l’activité de vente directe, avec une équipe comptant jusqu’à 4 personnes. Ils essaient en parallèle d’intéresser un salarié, de trouver un associé, mais rien n’y fait : la reprise, Arnaud devra la faire seul. Il choisit donc de revendre l’activité de vente directe, « le bébé de mon père », en 2013, et de se concentrer sur les travaux de la terre, qui passaient jusqu’à présent au second plan, et sur des cultures à plus forte valeur ajoutée. Lorsqu’il s’installe, son projet est d’emblée considéré comme « atypique » lors du stage. Cent cinquante hectares, 100 % des outils en cuma. Sans surprise, ses coûts de mécanisation sont bien inférieurs à la moyenne départementale. « Dans le milieu agricole, nous sommes armés pour être réactifs. On prend des décisions, qui, de plus en plus, ont des impacts énormes. Si une activité se casse la figure, ça ne me gêne pas, je rebondis. Passer par la cuma, ça me permet d’avoir cette réactivité. Je suis à la fois engagé et libre. Cela m’apporte une souplesse de travail, notamment avec le développement des prestations en service complet. » Pas d’angélisme non plus : « Il faut être capable de laisser partir le matériel chez le voisin, même si les travaux ne sont pas terminés, et parfois de mettre en retrait sa propre exploitation pour aller aider les autres. Et ça nécessite une énorme organisation, tout prévoir et se caler avec les salariés, car derrière, d’autres attendent. » Une gestion fine qui n’est pas pour déplaire à ce grand bosseur, qui avoue regretter les pics d’adrénaline de son premier poste : « Un téléphone fixe et deux portables : s’ils ne sonnent pas, c’est qu’il y a un problème », plaisante-t-il. Sur l’exploitation, il n’a pas pu résister plus d’un mois à la tentation de remplir les bâtiments d’élevage : héberger des bovins 21 jours avant leur départ pour la Turquie. Plus de 700 sont passés par l’exploitation depuis novembre, suivis par un protocole vétérinaire exigeant.
une vision différente
Son passage « de l’autre côté de la barrière », en entreprise, est particulièrement apprécié à la cuma de Lombers, où, outre le rôle de trésorier qu’il a repris depuis 6 mois, il seconde Emile Fabriès pour « manager » l’équipe de trois salariés. « Il a une vision différente du ‘mec normal’, de l’agriculteur qui n’a jamais été salarié, confirme ce dernier. Il sait ce qu’ils peuvent ressentir. Il m’aide pour le recrutement, les entretiens individuels. » Son implication dans la cuma s’est faite graduellement. « Il a repris la place de son père au conseil d’administration. En tant que trésorier, j’étais surchargé de travail, j’ai proposé une nouvelle répartition des tâches. J’ai vu qu’il était intéressé, et intéressant, je lui ai proposé de suivre la gestion du camion frigo, puis les assurances. Il a fait ça ‘à fond’, nous a permis d’optimiser notre traçabilité par rapport à la casse et aux assurances. Donc je lui ai proposé la trésorerie. »
Lieu de vie
En réunion de secteur, Arnaud Soulet oppose à ceux qui désespèrent de faire vivre leur cuma, d’en faire un lieu de vie. A Lombers, c’est la génération de ses parents, « des visionnaires », qui ont fait le pari du hangar, des salariés et du service complet. « C’est plus compliqué maintenant de sauter le pas. Mais c’est ce qui a réellement fait démarrer la dynamique », souligne-t-il. Une dynamique qu’il espère prolonger, à travers le développement du service complet, l’extension du hangar et la mise en place d’une aire de lavage. Sans compter les réunions café du lundi matin, pas du tout anecdotiques : « Un petit bureau, une machine à café, c’est important ! » Il a aussi instauré les « repas d’hiver » depuis 3 ans, pour les adhérents et leurs compagnes. « La convivialité, dans les coups durs, ça ressoude les troupes. Je l’ai entretenue avec mes salariés, et je continue à la cuma. »