« Nos sols en France sont dans un état catastrophique, car la culture les a abimés », a reconnu le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, pris à partie dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2 par l’actrice Juliette Binoche, qui milite pour replanter des haies afin de faire revenir la biodiversité. Il a estimé qu’il fallait « changer les façons de faire, car les sols ne captent plus de carbone ». Selon l’institut de la recherche agronomique (Inra), la France a vu sa surface agricole utile diminuer de 25% en 50 ans, à 27,3 millions d’hectares.
En réponse aux inquiétudes liées à l’artificialisation des terres (à cause de l’urbanisation, de la construction de routes…), le président de la République Emmanuel Macron a évoqué lors de l’ouverture du salon de l’Agriculture de nouvelles politiques d’urbanisme et annoncé une prochaine loi foncière. Mais sur l’appauvrissement des sols, les questions sont plus complexes. « Les sols agricoles français sont plutôt bien gérés, car ils ne présentent pas d’acidification comme dans d’autres régions du monde », indique Antonio Bispo, de l’Inra-Orléans. Il souligne néanmoins une tendance à la baisse en phosphore, notamment en Bretagne et dans le Nord, des régions d’exploitations intensives. Les cartographies de l’Inra montrent aussi que les sols des régions viticoles ont tendance à être contaminés par le cuivre, utilisé pour lutter contre les maladies de la vigne (mildiou, oïdium). Et une perte de carbone organique est constatée « surtout dans les régions viticoles, les régions de culture intensive et les climats méditerranéens », relevait M. Bispo lors de la présentation récente du premier « Atlas français des bactéries du sol » (éditions Biotope).
Les vers de terre, travailleurs infatigables
Selon lui, 20% des sols français sont menacés par l’érosion. Plusieurs rapports internationaux récents mettent par ailleurs en lumière la perte de biodiversité (insectes, oiseaux, petits mammifères). La biodiversité des sols est un sujet encore peu ou mal connu au-delà de l’abondance ou non de vers de terre, travailleurs infatigables pour « aérer la terre », selon Didier Guillaume. « Et pourtant, ça grouille dans le sol », souligne Philippe Lemanceau, de l’Inra Dijon. « Longtemps l’agriculture a jugé cette diversité gênante et a multiplié les désinfections de sols ou même les cultures hors-sol. Le changement de paradigme en ce moment, c’est de constater que les micro-organismes du sol sont des alliés et non des gêneurs, car le microbiote des sols contribue à la productivité végétale. » Un constat partagé par les militants de l’agriculture de conservation des sols (ACS), ne représentant que 4% des exploitants mais fermement engagés dans la revitalisation des sols. Ils suppriment le labour, réduisent les intrants chimiques et multiplient les couverts végétaux toute l’année sur leurs parcelles, qui ne doivent jamais rester nues.
Le test du slip
Pour illustrer son propos, l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (APAD) propose « le test du slip »: sur son stand au salon de l’Agriculture, trois slips en coton naturel sont étendus. Deux d’entre eux ont passé 90 jours enterrés dans deux parcelles différentes. Le troisième, neuf, joue le rôle de témoin. Le premier slip est devenu une dentelle: la fibre a presque disparu, mangée par la biodiversité du sol, un signe de bonne santé biologique du terrain, cultivé en agriculture de conservation des sols. Le deuxième, dans un sol labouré traditionnellement, s’est beaucoup moins décomposé. « Supprimer la charrue dans les champs, c’est un changement de paradigme pour l’agriculture qui l’utilise depuis 300 ans avant Jésus Christ. Mais avec ce système on empêche l’érosion, on fait revenir la biodiversité, on est reconnecté à la terre » explique Marjorie Lambert, qui exploite avec son mari, Joseph Bellet, une exploitation de 150 hectares en Seine-Maritime.
Des sols pris en compte au SIMA
Le gigantesque salon du matériel agricole SIMA, qui se tenait également cette semaine à Villepinte, prend aussi les sols au sérieux. L’industriel De Sangosse y montrait des capteurs pour le comptage et le suivi des limaces, quand Airbus Defence and Space exposait des imageries satellite et capteurs pour un suivi dynamique de l’azote.