L’agriculteur qui rêve à une production d’électricité à la ferme devant le chaleureux rayonnement solaire a tout intérêt à lier ce développement à un autre projet de son entreprise. Au-delà des controverses ou même d’un investissement qui se chiffrerait rapidement en millions, Alexandre Mattei, responsable ingénierie et innovation chez le constructeur Irisolaris, résume que «c’est très compliqué» de s’orienter vers la transformation, ne serait-ce que d’un hectare, de sa SAU en centrale électrique. Rien que pour l’étude d’impact environnemental (une des obligations qui s’impose au projet de plus de 250kWc), «c’est un an de réalisation, 50.000€ de plus…», illustre-t-il. Que penser de l’agrivoltaïsme?
L’agrivoltaïsme, un équilibriste sur la ligne de départ
Divers acteurs, grands noms du monde de l’énergie ou pas, s’intéressent au développement de centrales solaires y compris au sol. Ils proposent une valorisation, par exemple sous forme de loyer avantageux, de terres à faible potentiel agronomique. Surtout, l’idée d’un couplage entre la production électrique et une autre, agricole, a le vent en poupe. Des initiatives se développent, dans une filière qui se structure. Sur le papier, l’agrivoltaïsme va jusqu’à mettre en avant des synergies entre les deux actes de production. La présence des panneaux capteurs de lumière aurait un impact neutre voire positif sur la productivité de l’écosystème.
Une étude de l’Ademe cherche à caractériser les projets sur terrains agricoles et l’agrivoltaïsme. Elle confirme que ces logiques «sont une solution potentielle pour concilier les enjeux des filières photovoltaïque et agricole.» Toutefois, cela implique des équilibres «délicats à trouver». Idele, dans un guide pratique (1), retient trois facteurs de réussite incontournables, à intégrer «dès la conception» d’un tel projet en contexte d’élevage. Outre la prise en compte du bien-être animal, le système serait viable s’il maintient à la fois la performance de l’activité agricole, en termes de productivité de l’élevage en intégrant le temps et l’ergonomie du travail, et à la fois la performance de la production d’électricité.
Jean-Luc Bochu, responsable de l’activité agriculture énergie climat de Solagro, met ici en évidence que «dès lors qu’il y a une dimension agricole, l’agriculteur doit donc s’impliquer pour bien définir le projet et l’évolution du système. L’idée, c’est de faire ‘le plus possible d’agriculture’, avec la production photovoltaïque.»
Agrivoltaïsme: l’agriculteur doit s’impliquer pour intégrer ses contraintes
Or, pour beaucoup des systèmes-type de son étude, l’Ademe retient qu’un manque d’intégration de l’agriculteur dans le projet d’implantation des centrales est parfois observé. Cela implique donc que les besoins de l’exercice agricole ne seront que peu ou pas pris en compte. La menace évidente étant, qu’à terme, l’activité agricole de cette surface disparaisse totalement du paysage.
Ce même besoin d’équilibre se retrouve lorsque le couplage photovoltaïque-agriculture permet ou facilite «l’accès à du matériel technique pour l’exploitation». L’Ademe entend par là, par exemple, la construction d’un bâtiment. Dans ce cadre d’un projet de construction, l’intégration de mètres carrés de panneaux solaires sur le toit «se fait plutôt très facilement», juge Alexandre Mattei. Le schéma est d’ailleurs déjà très bien adopté dans les campagnes. «Si l’on reste à moins de 500kWc, soit une surface de l’ordre de 2.500m2, il n’y a pas à rentrer dans le système d’appel d’offres», moins favorable que l’obligation d’achat.
Le constructeur rappelle toutefois quelques conditions. «Le porteur du projet doit justifier son statut agricole d’une part, et le besoin du bâtiment pour l’activité de son entreprise.» Jean-Luc Bochu complète: «c’est vrai que des bâtiments alibi ont effectivement déjà été érigés», en précisant que la même réalité existe du côté de l’agrivoltaïsme. Ces contre-exemples qui portent préjudice à l’image de la filière confortent les exigences nécessaires dans les démarches de permis de construire.
Sur les toits aussi, pas mal de souplesse dans le montage
Si ces toitures productives permettent rapidement de rembourser le coût de construction, «pour l’agriculteur qui veut rester maître de son bâtiment, du projet, il y a du temps à passer», résume Jean-Luc Bochu. Sans ressource pour investir ou s’il préfère miser sur une autre stratégie, là encore, la possibilité de se délester de la gestion d’un nouvel atelier de production existe. Le photovoltaïque peut lui permettre un revenu sous forme d’une location. Ou alors, l’agriculteur bénéficie d’un bâtiment gratuit.
Dans le cas d’une serre, «à moindre coût, voire à coût nul», Alexandre Mattei prévient, que l’installation dans le cas général sera «moins productive qu’une serre classique puisque l’idée première reste la production d’électricité. Néanmoins cela peut très bien convenir à certaines productions, comme le kiwi rouge.» L’étude de l’Ademe confirme que ce schéma ouvre des opportunités de développement des exploitations, par exemple en production maraîchère. Mais si certaines plantes de ces systèmes lui trouvent une utilité (ou ne sont pas impactées), «dans la plupart des cas, l’ombrage est pénalisant pour les cultures.» Il peut donc limiter les possibilités d’espèces et les rendements.
Le chef d’exploitation agricole a une réflexion importante à mener, sur la conception de la serre, la disposition des installations de gestion de la lumière… jusqu’aux marchés de commercialisation de sa future production. Comme souvent, la pertinence du projet s’étudiera au cas par cas. Ce d’autant plus que les portées agronomiques de l’ombrage des panneaux photovoltaïques ne semblent à ce jour pas pleinement dévoilés.
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