Bayer vient de montrer sa détermination en mettant 62 milliards de dollars sur la table pour Monsanto, soit environ 55 milliards d’euros. Une somme énorme, qui en ferait la plus grosse acquisition d’un groupe étranger par une entreprise allemande.
Mais dans un pays où Monsanto est largement détesté pour ses OGM et son désherbant Roundup, qui contient du glyphosate soupçonné d’être cancérogène, la fierté nationale n’est pas de mise. « Monsanto ne pourrait pas être plus impopulaire qu’en Allemagne », lance à l’AFP Anne Isakowitsch, une militante berlinoise du groupe de pression Sum of Us, qui vient de lancer une pétition contre le rapprochement avec Bayer. Une union des deux géants serait « un mariage infernal, désastreux », se désole-t-elle. « La plus grande peur, c’est que Bayer cherche à acheter Monsanto pour inonder le marché européen d’OGM ». La militante n’est pas la seule à nourrir des craintes. En avril encore, 76% des Allemands trouvaient l’interdiction des OGM importante, selon une étude publiée par le ministère de l’Environnement. Une opinion qui pousse déjà les sociaux-démocrates (SPD), partenaires minoritaires au sein de la grande coalition d’Angela Merkel, à s’élever contre la fusion.
Poids lourd du lobbying
« Je suis très, très critique sur ce rachat. Monsanto a extrêmement mauvaise réputation en Allemagne en matière de génétique », explique Elvira Drobinski-Weiss, la députée chargée des questions OGM au sein du SPD. La réticence est telle que BASF, l’autre géant rhénan actif dans l’agrochimie, avait délocalisé en 2012 sa recherche sur les OGM d’Allemagne vers les Etats-Unis et arrêté de développer des semences pour l’Europe. Un mariage entre Bayer et Monsanto risquerait-il de rouvrir le débat ? « Je l’espère », répond paradoxalement Mme Dobrinski Weiss, qui voudrait saisir l’occasion pour faire passer une interdiction fédérale des OGM en Allemagne. Actuellement, il revient à chaque Etat-région d’interdire ces cultures sur son sol. Mais le nouveau géant « aurait un énorme pouvoir de lobbying des deux côtés de l’Atlantique », avertit Marco Contiero, chargé de la politique agricole chez l’ONG Greenpeace. Bayer est déjà habitué à être sous le feu de la critique, notamment à cause de ses néonicotinoïdes, des pesticides accusés de tuer les abeilles et actuellement sous le coup d’un moratoire de l’Union européenne. Une décision que le groupe allemand conteste en justice, tout en finançant un centre « pour la santé des abeilles », doté de comptes Twitter et Facebook propres. « Nous pensons que nous pouvons gérer la réputation de Monsanto (…) Nous savons que nous devons nous occuper de manière décisive de ce point », a répondu à l’AFP le nouveau patron de Bayer, Werner Baumann.
Dépendance alimentaire
L’alliance germano-américaine fait aussi craindre une main-mise sur l’agriculture mondiale, dans un secteur de l’agrochimie qui se concentre toujours plus. Les américains Dow Chemical et Dupont veulent fusionner, le chinois ChemChina doit racheter le suisse Syngenta… Et le géant qui naîtrait entre Bayer et Monsanto deviendrait le numéro un mondial des semences et des pesticides, avec respectivement 29% et 24% de parts de marché dans chaque segment, selon Greenpeace. La nouvelle entité « décidera de ce que le consommateur trouve sur sa
table », assure M. Contiero, car elle « sera capable d’imposer aux agriculteurs quoi planter et comment le faire pousser », avec des offres tout en un, intégrant graines et produits chimiques à appliquer. Avec cette acquisition, Bayer « va dans le sens contraire des débats mondiaux actuels » sur une alimentation plus saine, confie à l’AFP Renate Künast, ancienne ministre de l’Agriculture et membre des Verts, dans l’opposition allemande. Et d’avertir contre la tentation d’un revirement politique sur la question du glyphosate, herbicide polémique contenu dans le Roundup de Monsanto et dont une éventuelle interdiction divise les membres de l’UE. En Allemagne, le SPD pousse le gouvernement à s’abstenir officiellement, et de nombreuses chaînes de bricolage ont banni la substance, soupçonnée d’être cancérogène. Si le produit passe sous bannière allemande, Mme Künast craint que les sociaux-démocrates ne retournent leur veste et « se laissent influencer par Bayer ».
Francfort, 24 mai 2016 (AFP)