Le rumen serait-il un organe au pied marin? Au Canada, un éleveur avait remarqué, il y a déjà plusieurs années, un gain de productivité de ses bovins lorsqu’ils pâturaient à la plage. Le bon air de l’estran? Des chercheurs se penchant sur la question ont découvert que leur régime alimentaire, intégrant donc des algues, induisait une réduction, de l’ordre de 20%, des émissions de méthane par les ruminants. Produire plus en polluant beaucoup moins, on nage en plein rêve. Un rêve suffisamment beau pour pousser un de ces scientifiques à prolonger l’exploration en Australie, au sein du Csiro(1).
In vitro, un effet spectaculaire
En testant différentes sortes d’algues, ces travaux ont conduit à identifier une espèce remarquable. Selon la publication relayée par le site theconversation.com, une fraction minime d’Asparagopsis taxiformis dans la ration, moins de 2%, a un effet sur les émissions de méthane. Elles pourraient être réduites de 99% grâce à ce végétal, trouvé sur la côte nord-est de l’île continent. Rappelons que la molécule de méthane émise par le ruminant en pleine action digestive n’est pas qu’un accélérateur du réchauffement climatique, elle est aussi autant de matière qu’il a ingérée et qui sort du système de production de l’entreprise agricole.
Plage interdite aux vaches, même tenues en laisse
Néanmoins, le séjour à la mer offert à la vache par son fermier n’est pas pour demain. Déjà, mettre ses vaches au pâturage sur l’estran «est interdit de longue date», explique Yannick Lerat, directeur scientifique du Ceva(2). Par le passé, «c’était pratiqué. Les animaux mangeaient essentiellement des fucus», et c’était un moyen de leur proposer un apport minéral.
Grande prudence requise
Donc si les vaches se mettent à manger de l’Asparagopsis pour limiter leurs émissions de méthane, ce sera plutôt en restant à la ferme, mais nous en sommes encore loin. En effet, les conclusions sorties d’un tube à essais — les Australiens n’en seraient que là — sont à confirmer par des mises en situation plus in vivo, tandis que la question de l’approvisionnement des troupeaux en algue-miracle n’est même pas encore à l’ordre du jour.
Yannick Lerat se montre plus que prudent sur ces deux points: «L’effet vient sans doute de la présence de dérivés organo-halogénés dans ces algues capables de modifier la composition de la flore.» Mais il n’est pas certain que la propriété antibiotique des composés en cause s’arrête aux bactéries du rumen responsables de la fabrication du méthane: «Ce n’est pas parce que c’est naturel que ce n’est pas toxique. Ces composés sont très actifs» et il faut savoir que leur présence est réglementée.
Il n’est donc pas dit que l’impact de cette algue sur les performances zootechniques soit neutre ou positif. Quant à l’approvisionnement… Yannick Lerat précise que la production naturelle de l’algue en question sur nos côtes est peu importante, dans le meilleur des cas, et sa culture est compliquée.
Aujourd’hui des fins médicales, demain des fins alimentaires?
Néanmoins, les chercheurs australiens ont peut-être ouvert une piste. Et pour rester sur une note totalement positive, «cela ne ferme pas du tout la porte aux algues en alimentation animale». Comme apport protéique, dans une logique de recherche d’autonomie, il n’est pas interdit d’imaginer cultiver des algues, même en bassin. Le directeur scientifique du Ceva relève par exemple la richesse protéique d’une algue verte mise en milieu riche en nitrates.
(1) Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation.
(2) Centre d’étude et de valorisation des algues. Site internet : www.ceva.fr
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