Entraid: Quelle définition peut-on faire en 2016 de l’agronomie? Surtout, vers quoi évoluent cette science et ses applications concrètes?
Michel Griffon: La pratique de l’agronomie se fait de plus en plus en interaction avec l’écologie. Cette évolution paraît inévitable à ceux qui s’intéressent à l’agronomie. Il faut inventer une agriculture de haute technologie, qui respecte les lois de la nature. Jusqu’à très récemment, l’agronomie, comme beaucoup de sciences et de technologies, a été enfermée dans sa propre discipline. Elle a été enseignée dans les grandes écoles d’agronomie, sans prendre en compte ni profiter des avancées de l’écologie, et réciproquement. Sous l’influence d’une multitude d’innovations, on en a oublié que l’acte agricole implique de gérer un grand nombre d’équilibres. L’agronomie est de l’écologie opérationnelle que j’appelle aussi ingénierie écologique. Comme c’est indiqué dans l’intitulé de l’AEI: on applique à l’écologie une vocation productive très affirmée.
Cette évolution que vous constatez ne concerne-t-elle que l’AEI, ou est-ce un mouvement général de l’agriculture ?
De nombreuses alternatives sont possibles et se développent. Des différences existent entre elles. Par exemple, l’agriculture biologique et AEI ont en principe d’intensifier les mécanismes naturels: la première s’interdit totalement des solutions que la seconde s’autorise subsidiairement et en complément. Nous pouvons aussi citer la permaculture, intéressante pour le jardinage et une partie du maraîchage, ou les agricultures raisonnées, intégrées, durables… Leurs définitions diffèrent mais ces logiques convergent: toutes se réfèrent à l’écologie scientifique.
Quel impact a cette évolution sur le matériel et les relations entre l’agriculteur et ses équipements?
Cette conception d’ingénierie écologique change la relation du cultivateur avec son sol. Celui-ci n’est plus uniquement un substrat qu’on laboure pour créer la porosité et pour enfouir les mauvaises herbes. Le sol, d’un point de vue écologique, n’a pas besoin de labour. Dans le cas général, son fonctionnement biologique doit lui assurer cette qualité de porosité, d’où la tentation d’itinéraires sans labour. Ainsi, une partie non négligeable d’agriculteurs essaye de réduire le travail du sol car il représente une dépense énergétique considérable qui va de pair avec des émanations de gaz carbonique, un tassement du sol. Mais cette volonté se heurte au contrôle des adventices et le recours aux herbicides totaux n’est pas une évolution durable. Dès lors, et outre les semoirs de semis direct, la nouvelle génération d’outils (herse étrille, charrue à faible profondeur ou permettant un travail sur le rang…) a de l’avenir. Comme la robotisation ou l’électronique, ils deviennent indispensables. Cette évolution vers la gestion d’équilibres écologiques devrait aussi favoriser une logique d’interventions ponctuelles. Des traitements chirurgicaux qui pourraient se faire avec des drones, par exemple. Ce sont encore de nouvelles catégories de matériels, qui demandent des compétences et des formations nouvelles. Et il n’est pas interdit d’imaginer que ces activités compliquées et spécifiques puissent être assurées par des cuma et leurs salariés.
Cela renforce donc la pertinence des cuma?
Elles devront s’adapter, du point de vue matériels, mais les cuma ont un avenir. C’est certain. Tous ces outils et ces méthodes ont un coût. Or, mettre en commun ce qui coûte le plus, pour faire des économies d’échelle est et restera une solution intéressante. Elle permet à nos petites exploitations agricoles d’être compétitives par rapport aux grandes exploitations d’autres pays. Jouer sur la complémentarité est une logique de l’AEI. En effet, définir un modèle avec de petites exploitations et des grandes activités en commun est possible: ce sera le thème des prochains entretiens annuels de l’association AEI.