En appliquant l’ensemble des pratiques culturales identifiées par l’Institut national de recherche agronomique pour augmenter le stockage du carbone dans ses sols, la France pourrait parvenir à compenser « près de 7% du total de ses émissions de gaz à effet de serre », a ainsi annoncé jeudi le président de l’organisme Philippe Mauguin.
« Même si cela ne suffit pas pour tenir les engagements internationaux de la France, car le pays est un gros émetteur, c’est loin d’être négligeable et cela mérite d’être examiné », a-t-il ajouté.
Les surfaces dédiées aux grandes cultures de céréales ou d’oléagineux, qui sont celles qui stockent actuellement le moins de carbone à l’hectare, ont le meilleur taux d’amélioration potentielle. « La Beauce en particulier » a souligné Sylvain Pellerin, directeur de recherche à l’INRA.
Parmi les neuf « pratiques stockantes » prônées pour améliorer les performances climatiques de l’agriculture dans les 30 années à venir, trois sont spécialement pointées pour leur efficacité:
- L’extension des cultures dites « intermédiaires », c’est-à-dire l’implantation de couverts végétaux juste après la récolte de la céréale principale, de manière à ce que le sol soit le plus longtemps possible recouvert de végétation et jamais laissé à nu. « C’est bon pour absorber le carbone, mais c’est aussi bon pour lutter contre l’érosion des sols, pour la qualité de l’eau et pour la biodiversité », a jugé M. Pellerin.
- L’agroforesterie, c’est-à-dire l’installation d’allées d’arbres entre les parcelles de cultures.
- Et l’extension de la durée des « prairies temporaires », celles qui sont alternativement prairies ou cultures, dans les systèmes de rotation.
Semis direct et enherbement
L’étude souligne aussi l’efficacité climatique du « semis direct », une technique qui supprime le labour, mais dans les zones de climat sec uniquement.
Autre pratique à encourager en zone d’élevage, le remplacement de la coupe de l’herbe par du pâturage direct du bétail, mais ceci est forcément limité car l’herbe est coupée pour l’alimentation du bétail pendant l’hiver.
La viticulture peut aussi jouer un petit rôle via l’enherbement des vignobles, qui consiste à implanter des bandes herbacées entre les rangs de vigne.
Quant aux forêts et aux prairies permanentes, leur potentiel d’amélioration est soit quasi-nul (forêts), soit faible (prairies) car elles stockent déjà beaucoup de carbone: 80 tonnes à l’hectare pour les prairies contre 50 tonnes/ha pour les grandes cultures, par exemple.
« Mais il est très important qu’elles soient préservées en l’état », a dit M. Mauguin. « Il faut à la fois préserver les écosystèmes où les stocks de carbone sont élevés et améliorer les grandes cultures », a-t-il précisé.
L’étude menée par l’INRA avait été demandée par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation.
Elle vise à apprécier concrètement et géographiquement le potentiel de stockage du carbone des sols de toute la France, les pratiques agricoles à suivre pour l’augmenter, les coûts, et les budgets mobilisables, y compris ceux de la Politique agricole commune (PAC) pour y parvenir, a expliqué M. Mauguin.
Intégration dans la PAC ?
Les coûts des techniques suggérées sont très différents, certaines étant quasi-gratuites, comme l’enherbement des vignobles, d’autres nécessitant des investissements conséquents comme la plantation d’arbres ou de haies.
« Il faudra voir comment intégrer ceci dans la politique agricole commune, et notamment quelle mesure simple de masse il faudrait prévoir dans le premier pilier de la PAC » pour accompagner les agriculteurs, a dit M. Mauguin.
Cette étude est la première du genre dans le monde menée à l’échelle d’un pays entier, la France, pour valider la mise en oeuvre de l’initiative « 4/1.000 » (lire: 4 pour mille) lancée lors de la Conférence de Paris sur le climat (COP21) en 2015.
Les experts avaient alors émis l’hypothèse que l’augmentation chaque année de 4/1000e de la teneur en carbone de tous les sols du monde permettrait de compenser l’augmentation du carbone émis par l’activité humaine, et donc de lutter contre le réchauffement climatique à l’horizon 2050.
« L’agriculture émet un peu moins de 20% des émissions françaises et la technique du 4/1000 permet de réduire de 40% les émissions de l’agriculture française », a conclu M. Mauguin.