L' »agribashing« , ou dénigrement permanent, « existe parce que certains membres de la société accusent l’agriculture telle qu’elle est d’aller droit dans le mur, mais aussi d’être conservatrice et de ne pas nous projeter dans les défis du changement climatique », explique Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie des entreprises à l’Université de Clermont-Ferrand.
« Mais il n’y a pas une seule catégorie d’agriculteurs et ce ne sont pas tous les agriculteurs qui sont systématiquement exposés à des critiques et des relations conflictuelles avec leurs voisins », ajoute-t-il.
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« Il y a un crescendo », souligne pour sa part Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, dans un entretien à l’AFP. Revendiquant des « chiffres précis » fournis par le ministère de l’Intérieur, elle égrène les intrusions dans les élevages, des militants antispécistes, souhaitant ainsi dénoncer les conditions de vie des animaux: « 8 intrusions en 2017, 16 en 2018 et au 30 août (2019), il y avait déjà 41 intrusions ».
Fin novembre, le ministre de l’agriculture Didier Guillaume dénonçait « 71 actes délictueux dans des élevages depuis le début de l’année ».
Poursuivre les auteurs d’intrusions
Au point que le gouvernement a décidé la mise en place d’une cellule spécifique, nommée Déméter, à la Direction générale de la gendarmerie pour identifier et poursuivre les auteurs d’intrusions ou d’agressions chez des agriculteurs.
Concernant les attaques au sujet de l’épandage des produits phytosanitaires, Mme Lambert n’a « pas de chiffres nationaux », mais elle évoque les alertes de ses adhérents sur Twitter: dans l’Ain, un agriculteur blessé à une oreille, dans la Sarthe, un agriculteur de 18 ans menacé sur son tracteur. Charente-Maritime, Haute-Garonne, Hérault, Loire-Atlantique… toutes les régions ou presque semblent concernées.
Des actes, à en croire Mme Lambert, « consécutifs aux peurs brandies par les ONG ».
Mais l’attaque qui a mis le feu aux poudres dans les campagnes est venue en mai du maire d’une petite commune bretonne, Langouët, et de son arrêté anti-pesticides.
Annulé depuis par la justice, cet arrêté a poussé le gouvernement à lancer une concertation sur les zones de non traitement (ZNT), où toute pulvérisation de produit phytosanitaire est interdite. Près de 54.000 Français ont répondu, et le gouvernement doit annoncer courant décembre sa décision sur la distance d’épandage des pesticides par rapport aux habitations.
Cette controverse a provoqué le 24 septembre des « feux de la colère », en périphérie des villes, première étape d’une mobilisation des agriculteurs tout au long de l’automne, dont la dernière manifestation a bloqué le périphérique parisien, le 27 novembre.
Evitement du débat public
« La dénomination agribashing est sortie du syndicalisme et il y a eu une posture de victimisation que je trouve excessive », car les agriculteurs « ne sont pas plus victimes que les profs, les policiers, ou les politiques », estime toutefois Bertrand Hervieu, sociologue de l’Agriculture.
« Qu’il y ait des attaques dures à recevoir, je l’entends », mais « on a un phénomène d’évitement du débat public » qui « ne met pas les agriculteurs en condition de comprendre qu’ils ne sont pas les seules victimes de ce délitement que tout le monde subit », ajoute-t-il.
« C’est une gesticulation pour faire diversion, pour esquiver les sujets de fond », assure pour sa part Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association de défense des animaux, L214.
Pour Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne, lorsqu’elle brandit l’agribashing, la FNSEA a tendance à « refuser d’entendre que le modèle est allé trop loin, dans une certaine intensification, voire une industrialisation du vivant, animal et végétal, qui a coupé les liens avec le reste de la société ».
Des accusations que réfute Christiane Lambert. « On est au travail, mais 100 arbres qui poussent font moins de bruit qu’un arbre qui tombe. Il y a des gens qui ne veulent pas entendre ce qu’on fait », clame-t-elle.
Des agriculteurs tentent de leur côté de faire oeuvre de pédagogie comme ce collectif qui a lancé début septembre un numéro d’appel gratuit « Ici la Terre », pour répondre aux questions des urbains au sujet des pratiques agricoles. Il a reçu, selon ses créateurs, « un peu plus de 300 appels » le premier mois.